Bon temps est mort, no l’a mis à la biere


David Ferrand

Éléments contextuels

1642

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Cette année 1642, les vins furent aussi rares qu’ils avoyent esté l’année precedente, et ne se trouva non plus de sidres ny poirez en Normandie, ce qui donna subject à l’Autheur de faire l’œuvre suyvant.

Cant ryal « rial ».


Ch’est à su coup qui faut qu’on s’amouchelle,

Ventripotens maqueux de bon morciaux,

Avalle-vins, dont les rouges muziaux

Feroient suer les apprentifs d’Apelle

Pour n’en pouvoir peinturer « fachonner ». de pu biaux.

Gens sans soucy, enfans de chere lie,

Vrays affronteurs de la melancolie

Qui l’assommez en vos banquets joyeux,

Il faut quitter cette humeur coustumiere ;

Vous n’erez pu « plu ». que des lermes aux yeux :

Bon temps est mort, no « on ». l’a mis à la biere.


Y n’est point mort de sa mort naturelle ;

No l’a (dit-on « dis-on ».) fait partir dans houziaux.

No le veyet reninfler des naziaux

Quand y veyet par fais queuque libelle,

Ou queuque impost plaqué à ses potiaux.

Tantost ch’etet dessus la draperie,

Le l’endemain su la tainturerie,

Dessus le cuir, mesme su les cayeux ;

Bref, dessu tout veyant mettre l’enchere,

Mourut d’ennuy ; disons donc en ces lieux :

Bon temps est mort, no l’a mis à la biere.


Je pouvon bien dragler de la godelle

Que no broüette « broüete ». illoq par ses reniaux ;

Chela tiendra nos tripes et boyaux

De la couleur que no veit la Renelle,

Car pour le vin faut dire : Adieu nos « mes ». piaux.

Qui fourniret à baire aintelle pie ?

Le temps passé, le vin de Malvoisie

Ne valet pas chen que vaut le vin vieux.

Le moyen donc de faire bonne chere,

Car sans le vin checun dit roupieux :

Bon temps est mort, no l’a mis à la biere.


Lors qu’on vivet sans imposts ny tutelle,

Que la saison venet des vins nouviaux,

Su ses Monsieux che n’étet qu’ecritiaux,

Et, quand j’estions en feste « fète ». solennelle,

Entre vezins j’en draglions à plain « plains ». siaux.

Mais asteur’chy n’y a pu de compagnie ;

O pres sen feu chacun tient sa partie ;

No n’entend pu faire neuche à Gouvieux ;

Comme chevaux faut baire à la riviere,

Qui rend ainchin le monde marmiteux ;

Bon temps est mort, no l’a mis à la biere.


On n’orra pu chanter la Peronnelle

Comme o fezet dans le jour des gatiaux :

Le Gras Mardy se verra sans fritiaux,

Et sans mener ny violon ny vielle,

O pres du feu seront no galuriaux.

No n’orra pu toute la diablerie,

Ny le caquet de la Pessonnerie ;

Y n’eront pu le vin sous leu cheigneux.

Les chavetiers, regrettant leu misere,

Le gosier sec, diront tous marmiteux :

Bon temps est mort, no l’a mis à la biere.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

La xvii. et xviii. partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs Ouvrages Facecieux en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant les œuvres jovialles qui ont esté presentées cette année aux Palinots, 1642, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 230-232.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique