L’herbe au tabac que le foudre yeuxtermine


David Ferrand

Éléments contextuels

1642

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Ceste mesme année, il y eust une si grande quantité de foudres, feux, tempestes et orages en l’isle de S. Christofle, que presque toute l’habitation en fut submergée, avec nombre de ses habitants.

Cant rial


Esprits charmez, vrays démons de nostre aage,

Qui ne quittez l’air de vos calumiaux,

Quand vo « vou ». draglez de la biere à pleins siaux,

Et qu’étourdis vous rendez un hommage

Au Dieu boiteux en fumant des naziaux,

Il faut quitter cette horrible manie

Qui tient vos sens dedans une agonie ;

Puis delivrez de cét enchantement

Qu’à S. Chritoffle « sainct Critofle ». un de vous s’achemine

Pour contempler avec estonnement

L’herbe au tabac que le foudre yeuxtermine.


Dieu tout-pissant « puissant ». qui de sen « son ». haut estage

Veit en tout lieu et nos biens et nos maux,

Qui veut aussi que nos divers travaux

Soyent les tresors pour nourrir un mesnage,

Qui le benit dans ses labeurs journaux :

Sa prescience à jamais infinie,

Pour vous priver d’une telle folie,

Afin qu’au temple alliez devotement

Rendre vos vœux à sa bonté divine,

Desracina dans un petit moment

L’herbe au tabac que le foudre yeuxtermine.


De l’Aquilon s’esleve un gros nuage,

Le ciel se veit privé de ses flambiaux,

L’air se descharge en de petits grumiaux,

Le vent leu pousse un si cruel orage

Qu’il rend dans l’isle un vray deluge d’iaux.

Le feu voulant y tenir sa partie

Au sein des airs tesmoignit sa sortie ;

Il tonne, gronde et frappe tellement

Leurs batimens, qu’il les met en ruine « ruyne ». ;

Et là fut veu dans ce fracassement

L’herbe au tabac que le foudre yeuxtermine.


Le feu roulant le long de ce rivage

Saute, petille, et brusle leu vaissiaux ;

Les matelots dans ce triste naufrage

Creusent en mer eux-mesmes leurs tombiaux.

Un de leurs gens « chefs »., ayant l’ame hardie,

Dessus un aiz tasche à sauver sa vie ;

Seul il arrive au port heureusement.

Les habitans, en frappant leur poitrine,

La lerme aux yeux veyent evidemment « evidamment ».

L’herbe au tabac que le foudre yeuxtermine.


Chela vous dait priver de cét usage

Vous qui changez vos corps en des fourniaux.

Dieu a voulu enveyer des fliaux

Pour vous donner un ample tesmoignage

Qu’il hayt l’odeur que rendent vos tuyaux.

Nature estant du grand Dieu establie

N’a point produit sur la terre ennoblie

Rien qui ne serve en drogue ou aliment ;

Mais tout excez nous l’afflige et ruine.

Aux matelots faut laisser seulement

L’herbe au tabac que le foudre yeuxtermine.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

La xvii. et xviii. partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs Ouvrages Facecieux en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant les œuvres jovialles qui ont esté presentées cette année aux Palinots, 1642, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 232-234.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique