Complaintes et regrets lamentables des habitans de S. Nigaise
David Ferrand
Éléments contextuels
1622
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
Complaintes « Complainte ». et regrets lamentables
des habitans de S. « sainct ». Nigaise sur la perte inestimable de la boise de leurs quartiers « quartiers : Sur le chant de Monsieur du Mayne »..
Apprechez « Aprechez »., mes bons et purins,
Drapiez et faiseux « faiseurs ». de gardins,
Marchands d’œillets et de framboise « framboises ».,
Tisserents « Tisserent », « Tisserens »., tondeux, espincheux,
Pigneux, lenneux et épluqueux,
Venez lamenter notte « nostre ». Boise.
Que che nous est un grand malur
En un regret o cœur « au cœur ». bien dur
Que de vair « veir ». maintenant ravie
Notte « Natte ». boise d’antiquité,
Notte siege de verité,
L’honneur de la Purinerie !
Il y avet « aveit ». quatre chens ans
Que no z’ayeux « nos ayeux ». et peres grands « grans ».
L’avest « L’aveit ». pres du Plat establie,
Afin d’y faire presider
Nos anciens, pour accorder
Les decords de la Draperie « drapperie »..
Che qui se passet « Ce qui se passeit ». de pu « de plus ». bel,
Tou che qui estet « estait ». de nouvel
Estait « Esteit ». déranglé le dimanche,
Où checun « chacun ». venet « veneit ». volontiers
Su « Sus ». la boise de no « de nos ». quartiers
Pour y prenoncher sa sentenche « prnoncher sa sentence »..
No z’y « nos y ». palet « Nous y parlet », « On y palait ». le pu souvent
Des affaires de Montauban,
De Languedoc et de Xainctonge,
Et, quand dessus z’elle « dessus elle ». on mentait,
La povre « pauvre ». boise s’esclatait « s’esclateit ».,
Ne pouvant souffrir de mensonge.
Ainchin s’en retournest « retourneyent ». honteux
Chez « Ches ». plantes-bourdes, chez « ches ». menteux,
Le nez camard, la fache blesme ;
Pis, quand un autre s’i boutet « si metteit ».,
Qui « Et ». la verité racontet « raconteit ».,
Elle se refermet say-mesme.
Elle avet « aveit ». veu vingt et chinq « cinq ». Rois « Roys ».,
Et le ravage des Anglois
Du temps « O temps ». de Jeanne « O temps de Jeane ». la Puchelle ;
Et, combien que dedans Roüen
Firent biaucoup « beaucoup ». de detriment,
Ne s’adrechirent « s’adrecherent ». pas à elle.
Elle avet « aveit ». veu les grands hivers « yvers ».
Rigoureux, facheux et divers,
O no z’ut « O no eut ». de bois grand souffrette ;
Niaumains « Niaumoins ». la necessité,
Jamais homme n’avet osé
En esclater une boisette.
Durant la prise « prinse ». de Roüen
Il y a seixante « soixante ». et un en,
A vit la guerre et le ravage,
Et le siege l’y a trente ans,
Et biaucoup d’autre mauvais temps
Sans qu’on ly fit ocun « aucun ». dommage.
De vray « De vrai ». pour en estre en repos,
Les pu hupez de notte enclos
Arrestirent qu’à Sainct Nigaise
On la mettrait « mettreit ». pu seurement « surement ». ;
Che qui fut fait incontinent « Ce qui fut incontinent ».
Pour n’en estre point à malaise.
Mais en Janvier le fraidureux « fraiduleux ».,
En l’an mil six chents « cens ». vint « cent vingt ». et deux,
La povre boise a esté prise
Par les enfans « enfants ». de Sainct Godart
S’estans « S’estant ». exposez au hazard
De faire une tieulle « telle ». surprise.
Notez « Nottez ». docn que chez brelingans « brelinquans ».
S’en vindrent armez jusqu’o dents « juqu’o dens ».
Estant de garde à Sainct Hilaire,
Queuque petiot apres minuict « minuit ».,
Pour no commettre un tieu despit « depit ».
Et si grand desplaisir no faire « fere »..
Estant tout « tous ». vis à vis du Plat,
Y se fit « fait ». assez biau sabat
Faisant coinse « Faisant semblant ». de s’entrebattre,
De pur « De peur ». que queuqun « queuqu’un ». ne sortit
Et que no s’aperchut et vit
Un si grand et facheux desastre.
Aveu « Avec ». de certains « cieutrains », « chertains ». instrumens
Y l’ont « Il ont ». rompu les ferremens « ces ferrements ».
De quay a l’étet attaquée
Par trais « treis ». endrets à la maison ;
Car d’une terrible fachon
A l’y avet esté fiqué.
Quand a fut o mains des tirans « tirant ».,
Y se n’allaist « allast », « allest ». tretous hallans « hallant ».
Aveu de grands « grand ». braches « brache », « brachês ». de meuche ;
Et si estest pu resjoüis « rejoüys ».,
Pu joyeux et pu regaudis « regandis ».
Que s’il eussent esté de neuche.
Mais su le tart « Sus le tard ». un chavetier
Mit l’alerme à notte cartier,
Dont j’entroüismes « j’entrouïsme », « j’entendisme ». la hemée ;
Pis je no levon d’un plain saut
Criant apres eux : Raut, raut, raut !
Aveuq une voix « vois ». effriée.
Mais y « Mais si ». fesest « fesaist ». des resolus
Aveu leu coutelas tou nus,
Usant de chent mille menache ;
Et nous un petiot poulletrons,
Je retournon « retournons », « retournismes ». à nos maisons,
Et delaissime la pourcache.
O corps de garde l’endemain
J’allime « J’alime ». à mouchel pour chertain,
Ou je visme, ô douleur amere !
Notte povre boise bruller « brusler ».,
Mais no boutant à quereller
On no fit retirer « fit bien tirer ». arriere.
Mais j’en attrapisme « atrapisme ». un morcel
Qui fut departy o troupel
Comme une relique bien grande,
Aveuq « Aveu ». desir de no vanger
Et cette « ceste ». garde saccager « sacager ».
Le seir en revenant en bande.
A huict heures ou environ,
Par mouchiaux je no z’assemblon « nos assemblon ».,
Le premier à la Croix « Crois ». de Pierre,
Un autre à la ruë Fleuriguet ;
Le troisiesme feseit « faiseit ». le guet
O Plat pour leu « leur ». livrer la guerre.
Mais il advint « avint ». bien autrement,
Car par la ruë Sainct « saint ». Vivien
La compagnie fut menée ;
Mais quay ! en no veyant trompez,
En gros je somme devallez,
Aval la ruë de l’Espée.
Checun de nous criet : Raut, Raut !
Tu, tu’, à l’alerme, à l’assaut !
En faisant un grand tintamarre ;
Mais leu capitaine, à l’instant
Sa grande espée desgainant « degainant ».,
Entre eux et nous servit de barre « bare »..
« Retirez vous, dit-il, purins ;
Voulez-vous faire les mutins
Et troubler notte republique ?
Si checun « Sy chequ’un ». de vous ne se tait,
Vous « Vo ». serez « Vos seres ». à coups « a cou ». de mousquet
Recachez dedans vos bouticle. »
Quand j’entendisme « j’entendismes ». chez prepos,
Checun « Chequ’un ». de nous tournet « tournit ». le dos
Craignant queuque machacre estrange,
Aveuque desir niaumains
D’en venir queuque jour o mains
Pour en prendre notte « note ». revange « revenge »..
Donc qu’o mette o « au ». kalandrier
Qu’o dix-huitiesme de Janvier
Fut pris et ravy « ravi ». notte boise :
Boise dont « donc ». j’estions pu jaloux
Et pu glorieux entre nous
Que Roüen n’est de Geor-d’Amboise.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
Chant rial fait en forme de dialogue ; à Sainct Nigaise, par deux bons garchons drappiez, estant assichez à leur aise sur la boise de nos cartier. Avec plusieurs autres sortes de beaux discours, fort joyeux et récréatifs pour resiouir les bons esprits avec la chanson et regrets lamentables des habitans de S.-Nigaise, sur la perte et déplorable ravissement de leur boise, 1622, Rouen, Adrien Morront.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. I, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 32-38.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
L’incident dont il est question ici a eu lieu le 19 janvier 1622. Ce poème était chanté « sur le chant de Monsieur du Mayne ».
Commentaire linguistique
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