Response a la bonne mere Massée
David Ferrand
Éléments contextuels
1642
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
Response a la bonne mere Massée
par sen fieux Jacque « Jaques »., apprentif chavetier à Roüen, touchant l’engrossement de sa sœur Jeanne.
Stanches
Ma mere « Men pere »., j’ay recheu une missive escrite
Du quinziesme du meis « mois ». où je sommes fiquez,
Où tout chen qu’est dedans si tellement m’efrite « effrite ».
Que j’en cretine et cray que vou vou en moquez.
Crairay-je que ma sœur, qui n’est qu’une morveuse,
Qui garde tou les jours no vaque emmy ses camps,
En l’aage où a l’est, ayt esté amoureuse ?
Y s’en faut bien trois mois qu’a n’et « qu’à n’ayt ». dix et neuf ans.
Si je n’eusse connu o vray votte escriture,
Je n’eusse prins jamais st’afaire si à cœur.
Ossi qui eut songé qu’aintelle criature
Eut fait tieulle et breche à se n’honneur ?
Chennela m’a mis tant de tintoüins à la teite
Que je ne sçay queu nou pu souvent que je fais ;
Men maistre deux chens fais m’en a appellé beite.
De vray je ly ay gasté plusieurs fais ses souliais.
Si me diset : « Garchon, cous may su bout driere »,
Estait-t’y detournay, je le cousais devant ;
Si diset : « Ente-lay ou le cous en goutiere,
Jaque » ; y l’etet cousu ainchin qu’oparavant.
Si diset le matin : « Apporte ma sellette »,
Je ly allais querir la hague d’un fagot ;
Et quand y me diset : « Fais z’en des queuillettes »,
Je la jettais o feu et ne ly disais mot.
Y me diset par fais : « Qu’est-che que tu no grongne ?
Respond, ne veux-tu point este de su mestier ?
Ne travaille à regret, quitte là ta besongne ;
Ch’est trop d’honneur pour tay que d’estre chavetier. »
Me regardant un sair songer à ste sottise,
D’engain y m’enveyit à la teite un graisset.
Veyant qu’à bon escient y l’uset de main mise,
Sans ly rien pu cheler, je ly dy « di ». men secret.
Je ly debagoulis, pleurant de fil en liste,
Comme il l’avet seduit ma sœur emmy ses camps,
Comme y la venet vair les sairs à notte giste,
Ossi coume « comme ». y fezet oncore du galand.
Quand y m’eut ouy conter toute ma ratelée,
Y dit : « Chela ne t’empesche à faire ten métier ;
Ne jette point apres le manche la coignée :
Y n’est malur qu’on n’y puisse remedier.
« Je connez ces « ses ». Monsieux qui sont en Cour d’Eglise,
Je le z’iray prier qui te fachent rezon ;
Y ne faut pas permettre une aintieulle sottise :
No n’engrossit ainchin des filles de maison.
« Je trouve quand pour may qui seret necessaire
Que no jettit queu ly un clameur de haraux,
Car y faut commencher tout premier à st’afaire ;
Quand y sera ichite, y sera bien maraut.
« Le Juge ordonnera qu’il entrera en cage,
Pour ly apprendre « aprendre ». à paler comme à un perroquet.
Y seret condamné la prendre en mariage ;
Rien ne ly servira en su lieu sen caquet.
« Quand y sera là fiqué un mois ou chinq semaines,
La prison ly fra bien degresser sen muziau ;
Il aymera bien mieux que d’auer ses fredaines
Espouser, comme o dit, et la vaque et le viau.
— Men maistre, fodra-t’y que cette « notte ». malheureuse
Vienne ichy, comme o dit, pour disputer sen cas ?
Je ne crais pas qu’a vienne ; a l’est par trop honteuse ;
Men cher maistre, je cray qu’a n’y entrera pas.
« Il y a là mille gens qui ne vont « ny sont ». que pour rire
Et pour se minauder des povres amoureux.
Ma mere m’a mandé qui faut y là tout dire,
Comme tout s’est passé, et où y l’ont fait leu jeux ;
« Si no n’a point baillé queuque bague pour gage ;
S’on a promis sa fey fezant frediq fredoq « sa foy fezant fredic fredoc »..
Convient-t’y qui l’y ayt plus ample tesmoignage ?
Men maistre, dite le may ; vo ne me dite mot ?
— Queu tesmoins « tesmoin ». te diray-je à chela necessaires ?
Y n’y a que leu deux qui le sçavent tres-bien ;
Ta sœur le dira là ; pis en telles z’affaires
Le troisieme « troisiesme ». luant, coume o dit, n’y « comme o dit ne ». vaut rien.
« Y convient qu’a l’y vienne et set interrogée.
Mais mande qu’asteur’chy le Juge est pu « plu ». discret :
Quand o vient à « en ». su lieu pour lascher la goulée « gueulée ».,
Chela se dit o siege, et yencor « au siege et encore en ». en secret.
« Les filles de su temps trouvent chela quemode ;
Y ne leu z’en fait point de vergongne à present,
Y l’appellent chela marier à la mode :
« Je ne le serions pas, disent-elle « elles »., autrement. »
Vla chen qui dit, et peux vo mander de st’erre :
Hapez-le, du procez y poyra « poira ». l’interest,
Car, si s’en aperchait, y l’yra à la guerre,
Et ma sœur demeu’ra tout aintieulle « aintelle ». qu’a l’est.
Hastez-vous, mandez m’en vittement les « la ». nouvelle,
Car, quay qui vo z’en couste, y faut que je le z’ais ;
L’encreté m’en envaye à tous coups à la selle,
Et pressé queuque fais j’en chandore mes brais.
Que men bon pere et vou n’en pleure d’avantage ;
Tout yra comme y faut, men Maistre me l’a promis ;
Y faudra que Denys la prengne en mariage ;
Su tou les chavetiers men maistre à de z’amys.
V. S. D. F. Signature parfois manquante.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
La xvii. et xviii. partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs Ouvrages Facecieux en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant les œuvres jovialles qui ont esté presentées cette année aux Palinots, 1642, Rouen, David Ferrand.
David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 250-254.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
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Commentaire linguistique
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