Le z’Espagnols dans la tu’rie


David Ferrand

Éléments contextuels

1644

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Il y eut une grande deffaite en la bataille de Rocroy et fut envoyé nombre de prisonniers par toutes les villes de France, et celuy qui fut envoyé à Rouën fut mis dans un lieu qui lors n’estoit habité, proche la porte Guillaume Lyon, qui avoit esté basty pour faire une tu’rie.

Ballade


Vezin, happe ta hallebarde « halfebarde ».,

Croque ta dague à ten costay,

Car y no faut faire la garde

Coume o fezait le temps passay !

Que tout le monde est harachay !

Mais n’est che pas pure folie

De garder sans necessitay

Le z’Espagnols dans la tu’rie.


— Vezin, ten discours ne me farde ;

Aprens may chen que je ne sçay.

Tu me baille ichy la vezarde

O paravant que j’ays soupay.

Queu vent de malur a cachay

Aintieulles gens en Normandie ?

Et dis d’où vient qu’o z’a boutay

Le z’Espagnols dans la tu’rie.


D’Anguien « Danguien ». veyant la nazarde

Que ces gens ly firent st’etey,

Dans un combat y se hazarde,

Bien qu’inegal « inesgal ». de sen costay.

Mais Gassion s’y estant fiquay,

Che fut pour lors la diantrerie.

Tous deux ensemble y l’ont jettay

Le z’Espagnols dans la tu’rie.


Ils ont ceste armée fuyarde

Su le camp si bien achitray,

Qu’o z’en conte, comme o regarde,

Pu de huict « huit ». mil dessu le pray,

Bien otant qu’o z’a amenay

Dans la France sans perfidie.

Vla pourquay no z’a plaquay « plachay ».

Le z’Espagnols dans la tu’rie.


— Pourquay garder ste gent hagarde

Que l’orgueil a tousjours enflay ?

— Je t’aprens, vezin, qu’on les harde

Contre no gens qu’ils ont gripé.

— Et qui les nourrit par ta fay ?

— Vezin, veux-tu que je te die ?

Je nourrisson, et tay et may,

Le z’Espagnols dans la tu’rie.


Ils se traictent « traitent ». à la guimbarde,

Leu chair n’a pas un os cassay,

Et si jamais a ne se « le ». larde,

Le porc n’est à leu volontay.

Le samedy no vait riflay

Tout le mos dans la boucherie,

Que mangent en buvant du pray « peray ».

Le z’Espagnols dans la tu’rie.


La fille d’Anne la geignarde,

Qu’ayme tant le mos fricassay,

Tous les jours est bien papelarde

Veyant tout le mos enlevay.

Pour que sen frit ne set merquay

Et pour en sauler se n’enuie,

Y faut qu’a visite à sen gray

Le z’Espagnols dans la tu’rie.


No tient tieulle engence « engeance ». caignarde,

Si à se n’ayse pres su quay,

Que tout les jours a se retarde

Peur d’aver le corps balafray.

Y sera onco apres may,

(S’autrement o n’y remedie),

Qu’on verra, à chen que j’en cray,

Le z’Espagnols dans la tu’rie.


Leu z’ymeur est là si gaillarde,

Que n’esperent d’autre costray ;

Car là mainte fille gaillarde

Feront l’amour à leu biautay.

Si leu ventre se rend enflay,

Y conviendra qu’on les marie,

Et « Le ».multipliront de moitiay

Le z’Espagnols dans la tu’rie.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

La dix-neufiesme partie de la Muse normande, ou Recueil de plusieurs ouvrages Facecieux en langue Purinique ou gros Normand. Contenant les œuvres jovialles qui ont esté presentées cette année aux Palinots, 1644, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 275-278.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique