Le Bout de l’en de la Boise


David Ferrand

Éléments contextuels

1623

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Le Bout de l’en de la Boise.

Dieu te gard, men povre Fleuren « Fleurant ».,

Et bien quemen se porte n’en ?

Queche qui roule à ta chervelle ?

Tu me semble tout efritay.

A tu oüy paler sus su qay

De queuque piteuse nouvelle ?


— Bertin, si je sis marmiteux,

Tout deconfit et roupieux,

Ne t’en boute point à malaise ;

Ch’est que je sis « je suis ». tout desbauché

D’aver veu tout checun courché

Là haut à note S. Nigaise


— Dy may, Fleuren, sans le cheler :

Quez qui l’ont à leu delouzer ?

Ont il émouvé queuque noise ?

— Nennin, Bertin, en vérité,

Ils pleurent par solemnité

Le bout de l’en de notte boise.


Derrainement « Dernierement »., le jour S. Pos,

J’entroüys opres du grand Clos

Du sabat comme queuque alerme « alarme ». ;

Mais j’apperchus estant o bout

Un troupel de femme en couroux

Pleurans tretoute à caude lerme.


Su bon homme nommé Drien,

S’aprechant d’eux tout « tou ». douchement,

Demandant pour qui ch’est qui crie :

« Drien, se ly dit Marion,

Il y a un an ou environ

Que notte boise fut ravie.


— Chemon, se fit y, quant et quant ?

— Che fut les muguets d’arrogants

De Saint Godard « S. Godard »., estant de garde,

Pas tant pour s’en vouler cauffer

Comme pour faire furluffer

Nous et toute note brigade.


— Su me n’ame, se dit Gervais,

Je n’oubliray chela jamais ;

Le cœur m’en gremit quand j’y pense,

Car y l’ont fait « fet ». tout en « tou ten ». essien

Veyant que j’avions grandement

Ste povre boise en reverenche. »


La grand Catline dit : « Vraiment,

J’ay tant pleuré depis un en

Que je n’en vais « vay ». tantost pu goutte.

Le sair, quand je sis à l’hostel,

Pensant avaller « avaler ». un morcel,

Je laisse quair ma povre soupe « souppe ».. »


Alixis « Alixix »., su grand épluqueux,

Diset en fesant du pleureux :

« Je ne serais manger ny « mange ny ». baire ;

La memoire « memore ». de la douleur

Me fait tumber de ma hauteur

Parfais o mitan de me « de notte ». n’aire. »


May qui estoutait « escoutais ». leu « leurs ». clameurs,

Leu doulianches et leu « et leurs ». pleurs,

Je leu dis veyant leu grimache :

« Qu’ez qu’ou avez à vo facher

Pis qu’ou z’ay pour vous « qu’o z’ay à vous ». assicher

Une boise neufve à la plache ? »


Ils s’apprechent de may en gros,

Furlufez ainchin que des coqs

Qui ont mangé de la totée,

Disant que j’estait tritre en cœur

Si je n’avais « n’avois ». queuque douleur

De la povre boise bruslée « brulée »..


« Che n’est pas, se me firent t’y,

Pour le grand argent qu’a vausit,

Fut a de quesne ou bien de haistre ;

Mais, si j’en avon du regret,

Che n’est sinon pou « pour ». le sujet

Qu’a l’y venet de nos anchestres « enchestres »..


— Pourquay esche, se dit Lubin,

Que je courume le matin

Qu’a fut havie à Saint Hilaire « S. Hilaire ».,

Ou j’en recapume un coipel

Dont checun en eut sen morcel,

Si che n’est que no la revere ?


J’en « Je ». garde encor men coipelet

Dedans men petit drapelet,

Se dit la bonne femme Yvonne ;

Je vendrais « vendray ». putost men corset,

Ma cremillée, et men gresset « Ma cremillée men grasset ».

Que je l’engagisse à personne.


« Pour la boise neufve, fit a,

Je n’en fais à nen pu d’esta

Que d’une quaire qu’on z’emprunte ;

Car no z’a biau dessu mentir

Premier que no la veye ouvrir

Ainchin que la povre deffunte. »


Se dit la femme o vieux Lucas,

En jurant par sainct Nicolas « S. Nicolas ». :

« Depis qu’a l’est y la fiquée,

Oncore qu’il y ait un en,

Je n’ay daigné tant seulement « seulemen ».

M’y estre une feis assichée.


— Mort de may bleu ! ce dit Jeuffray,

Alizon, je vo sçais bon gré

Pis qu’o ny boutez point la presse :

Je ne m’y siais tout à nen pu,

Car je quirais putost dessus,

Que d’y plaquer jamais mes fesses.


« Che n’est pour denigrer en rien

Cheux qui nos ont fait tant de bien

Que de no l’aver enveyée :

Mais ch’est pour faire bigoter

Un cul gelé de chavetier

Qui n’a pas l’autre bien gardée.


— Par saincte Barge, dit Anez,

Je li eusse baillé su le « su sen », « sur le ». nez,

Une fais en portant ma paste,

Mais le nigon s’allit mucher ;

Ch’est « Chast ». pourquay j’allis étriquer

Dedans le renel ses « ces ». chavattes.


« Pouvions-ie « Pouvionge ». aver un pu grand mal

Que de perdre le tribunal

De la verité toute pure :

Ch’est « Chez ». pourquay je portons le dœil,

Le nez chendreux, la lerme à l’œil,

Pour avair recheu tieulle « tieule ». injure.


— Quand i’y pensé, le cœur me faut,

Se dit le bon homme Thibaut « Tihaut ».,

Et si la chervelle m’éluge ;

Songeant à se n’ancienneté,

Je crai pour toute vérité

Qu’a l’estet du temps du déluge.


« Helas ! ch’etet un parement

Que je gardions tant cherement,

Oncore que checun s’en moque ;

Car a l’avet si grand vertu

Que, quand « quaud ». nos y plaquet sen cul,

A guariset bien tost des broque.


— Ste boise ichy, dit Marion,

N’era iamais un tieu renom

Que la povre premiere boise ;

Sa pu grande commodité

Ch’est qu’on y vendra en esté

Des groiselles « Des groiseliers ». et des franboises.


— N’en parlons pu, se dit Carrel,

Et nos en allon à l’hostel.

Mais il faut craire en asseuranche

Que Dieu punira tost ou tard

Chez glorieux de Sainct Godard « Godart ».

S’ils « S’il ». n’en font grande penitenche. »

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

La Premiere et seconde Muse normande ou Recueil de plusieurs ouvrages facetieux en langue purinique, ou gros Normand. Recueillis de divers autheurs, s. d., Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. I, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 39-44.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

La messe que l’on célébrait pour le repos d’un défunt, au jour anniversaire de la première année qui suit sa mort, s’appelait la « messe du bout de l’an ». Or lors de la rédaction de ce poème, un an tout juste d’était écoulé depuis la destruction de la Boise.

Commentaire linguistique