Lettre missive du bon-homme Gervais Bouffare
Anonyme
Éléments contextuels
1644
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
Lettre missive
Du bon-homme Gervais Bouffare, adrechante à sen fieux Robin, Poüette des pu bons de
su temps, estudiant astheure ichite au grand Colliege, un petiot au decha la ruë des
Bonnetiais, rasibu l’ouvreux d’un Candelier.
Je t’escris à su coup, Robin, que j’aime mieux
Chent fais que mes boudins ; tu sçais bien, man bon fieux,
Que j’ay quatre vingt ans au coupiau de ma téte,
Mais jamais je ne vis une si bonne feste.
J’avon asteure ichite autant de sidre doux
Qu’il en faut pour dragler chinq ans tout notte sous ;
J’avons de quay rincher bel et bien notte panche.
Notte berquier Goguette et le bateux en granche
Alteré de vessir, dit qu’il no fait plaisir
De vuider no poinçons afin de les remplir.
Tous no frits sont tassais comme harens en caque ;
Le solier de dessus l’estable de no vaque
Enfondrit l’autre jour, et un gros soliviau
Esbreüillit tout à net et la vaque et le viau.
Le solier du prinsseux craque dessous les pommes,
Notte petit grenier en a un biau mouchel,
Et la seule d’en bas est pleine à haut huvel.
J’avons quatre preinsseux dedans notte village ;
Mais tout cha ch’est trop poy pour fournir au pilage ;
Quinze ne pourraint « pourrains ». pas contenter un cacun.
Il y a bien dix jours que je gueyte men run
Qui eust desja pachay « puchay ». sans Jean, su gros maroufle,
Le vesin de Thienot avec sen cos d’escoufle
Qui vint me devancher avecque sen benel ;
Ossi je ly baillis bien verd sus sen musel
Pour m’aver ainchi fait une tieule fredraine ;
Mais j’ayron biau piler la sepmaine prechaine.
Vien vo vais, si tu veux, quand tu auras campos.
Tu n’airas point de sidre à cause de z’impos.
Je t’en eusse donné une bonne barique,
Mais en dépit de cha tu n’en airas etrique.
J’avon bien chent poissons tous pleins de sidre doux ;
Si tu veux bechonner et dragler tout ten sous,
Vien no vais, me n’enfant, et fique en ta pouquette
De la mie de pain pour faire la trempette ;
Amene des garchons, quatre ou chinq, si tu veux,
Mais ne m’attraine pas su diantre de tanneux
Qui débauchit antan ten cousin Roquelore
A joüer hors sur pont ; je te deffends encore
De hanter qui que sait, s’il n’est pu grand que tay ;
Ne t’ajandre point d’eux, mais va d’autre costay.
Che n’est pas tout d’aver quittay le ptit Colliege,
Si tu ne quitte ossi su maurault de triege
D’aller au Pray o Loup joüer o cochonnet.
Tu sçais bien qu’un cacun y pend par sen garet.
Si tu crais men conseil, may qui sis homme d’aage,
Tu luiras dans st’escrit tout te n’apprentissage.
Tu parviendras docteur, et tu verras comment.
Je n’appette rien tant que te n’avanchement.
Te vla tantost paray de la Latinerie,
Pis que tu vas entrer dans la Filocofrie
Pour pesquer d’autre ergots que ceux de no cochons.
Le bon Dieu te benisse et tay et tes lichons,
Tes livres, ten Regent, tes bans et te n’escole
Qui n’a jamais senti aucune caracolle ;
On soldoye say mesme un pauvre balieux,
Et ne faut point poyer les gages d’un fesseux
Qui tuë quelquefais les gens par le driere.
Sans candelle il y a tousjours de la lumiere :
Fait il pas tousjours clair là où est Apollon ?
Point d’argent « Pour d’argent ». pour les bans ni pour leur refachon,
Pour dorer les parais, pour les sonneurs de cloques ;
Point d’enigmes tabliaux et d’autres pendeloques
Qui duppent le z’aisez et prennent les niais,
Vuidant le boursicot des pauvres escoliais.
Mande may, me n’enfant, mande may des nouvelles,
Car tu es de su bois de quay on fait vielles ;
Tu te fiques par tout, tu es de tous accords,
Et dit-on que tu as pu d’esprit que de corps,
Que tu es bon en prose et encor pu bon Poüette,
Bon en mille fachons ; mais che qui pu me hette,
Ch’est dans ta bonne himeur que tu crache des vers
Dignes d’estre portez au bout de l’univers.
Vien baire notte pray ; ch’est chen que je te mande.
Ecris may chen qu’o dit ; à Dieu je me recommande.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
La vingtieme partie de la Muse normande, ou Recueil de plusieurs ouvrages Facetieux en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant les œuvres jovialles qui ont esté presentées cette année aux Palinots, 1644, Rouen, David Ferrand.
David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 22-25.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
–
Commentaire linguistique
–