Response de Robin Bouffare


Anonyme

Éléments contextuels

1644

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Response de Robin Bouffare

A son pere Gervais, coq du village, Collecteur des Tailles, et Tresorier de se n’Eglise, à Quiquenpoix.


Men pere, vostre escrit m’a tellement chermay

Qu’en le luisant j’estais quasi tout espaumay

De vais vos A drechez en tour de passe passe,

Vo Pais croquevillais d’une si bonne grace

Et vo traits si bien prins, que tous le z’escrivains

Serais reux en veyant chet d’œuvre de vos mains.

O que je sis heureux d’aver un si bon pere

Qui me donne conseil de che que je dais faire !

A quatre vingt dix ans vouler encor sçaver

Che qu’on dit de nouvel, es che pas là braver ?

Escrire encore si bien, aver les dais si souples,

Aller encor au bois sans mitaine « mitaines ». et sans moufles,

Faire ruby su l’ongle, et baufrer bien encor,

N’est-che pas là morguer les pattes de la mort ?

Vo direz asteure chy que je sis trop bon poüette,

Que j’ay bonne raison, et que me n’asne pette.

Chemon, tout cha est vray ; mais encor, dite may

D’où est venu su brit, et qui vo z’a prosnay

Que j’estais si sçavans ; car par experience

St’ecrit si bien limay tesmoigne ma science.

La Cour à steurechy m’appelle nourrichon

Du Parnasse fourqu, et je fais la lichon

A che ptis poëtillons qui sans cauche et sans crique

Sont encore tous fiers d’apprendre à ma boutique.

J’eusse estay pour jamais un asne et un marault

Si je n’eusse quittay le Colliege d’en hault

Que je laissis antan le Mercredy de Chendre,

Car en lieu de monter, il m’eust fallu deschendre.

On voulait m’ajandrer d’un office nouvel

Qui s’appelle en français « françois ». Chappier au court mantel

Pour eslever le chant, et qui est su me n’ame

Bel et bien quand on sçait un ptiot conter sa game.

Mais tout cha n’estait point assez pour m’avancher ;

Men Regent bien des fais m’avet voulu placher

Quieux se n’amy du cœur, mais je dis : Croix de paille,

Je ne veux point aller avecque ste marmaille

De vinte chinq garchons tant en grands « grand ». qu’en petits

Qui sont amouchelais comme un tas de fourmis.

J’ayme bien mieux loüer une chambre guernie

Devers l’Archeveché et qui sait bien fournie.

Il est chertain pour lors que je disais chela,

Si j’ay bonne memore, et de st’empeinte-là

Guiday d’un bon esprit je laissis su triege,

Et m’en vint demourer opres du grand Colliege « Collige ».

Où je vais tous les jours rechever des lichons

Et des antiquitais de toutes les fachons,

Où j’allonge le cos et dreche les oreilles

Pour ouyr des Regents qui prosnent des merveilles.

Ch’est ainlà que je sis devenu si sçavant

Par doucheur et non pas en montrant men ponnant.


Pourche qui est astheure du jeu de la boulette,

Je m’en allis st’estay dedans l’isle à Amette

Aveuque men tanneux qui n’est pas grand filou ;

Mais jamais je ne mis le piay o Pray o Lou.

Faut il pas se joüer de pur de mal de téte ?

Encore su jour-là je crais qu’il estait féte,

Car on fesait des feux dedans le Vieux Marché

Où ch’est qu’on pend les gens, et on avait drechay

De biaux ponts de papier au coupiau d’une Eglise.

Un Espagnol (ch’estait le mary à Denise)

Fezait la sentinelle avec un grand cappel,

Et fezait amasser les gens en un mouchel.

Enfin, dessus le sair, quand Phœbu crigne blonde

Eut muchay dessous l’iau les feux de sa rotonde,

Et que la nuict moresque avec ses nairs quevaux

Eut rendu tenebreux l’entour de z’echerfaux,

Pu de chent mille gens pensaist prendre berée.

Il avaist tous le cos et la téte levée,

Crayant dur comme fer que cha deust reüssir,

Mais su meschant petard ne fit rien que vessir,

Et chécun s'en allit la queüe entre les gambes

Apres avoir lorgné chinq o six ptites flambes.


Il s'escut à su temps le jour de S. Nicaise,

Si bien que tous mes bons draglirent à leur aise ;

Y fezaint féte double en hauchant le godet.

Driant cachit un pot driere sen quevet

Pour baire pu matin, et se n'ante Perrette

En reservit autant, purs d’en aver souffrette.

Je « Il ». n’airais jamais fait, ch’est pourquay je finis.

Adieu, j’iray vo vais avecque me z’amis,

Pis qu'on vo fait plaisir de vuider vo futailles.

Je ne veux pas mener quand et may des quenailles,

Mais des gens d’appetit et d’un gosier dispos ;

Roquelore est un gay qui vuide bien les pots ;

Mes deux autres cousins ne demandent qu’où es che,

Et che n’est pas mirou, car ils ont la dent fresche.

Adieu encor un coup, car la tete me fend

D’ouir un tondelier qui congne incessamment ;

Les vesins en sont sourds et voudraint, pour sa peine

De leur faire un tieul brit, qu’il fut o fond de Seine.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Source ou édition princeps

La vingtieme partie de la Muse normande, ou Recueil de plusieurs ouvrages Facetieux en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant les œuvres jovialles qui ont esté presentées cette année aux Palinots, 1644, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 25-28.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique