A ma mere
Anonyme
Éléments contextuels
1644
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
A ma mere
Ma mere la grand Jeanne la Grongnuë, à Tote.
Un sair, graissant men pain dans une lèchefrite,
Je receus par vote ordre un fort bel ecritel
Que Laurens Gratepoux, baufreux de paire cuite,
Sans crier : « Garde tyau o, me lancit o muzel.
Je le happe et le luis « suis ». ; il avet pour adreche
« A man grand gueu de fieux nommay Cotas Pitaut. »
Je rompis le filet qui closait cette pieche
Où etait o couppel écrit « Maistre maraut. »
Vechy bien quemenchay, dis je aveu man langage,
No m’appele monsieur ichyte à tour de bras
Et no me dit maraut dedans note village
Si j’y remais le piay, qu’on tuë le viau gras.
Je luysis à lésir ste pieche d’eloquanche
Là où j’etais lavay et dehors et dedans ;
Je ne meritais pas d’etre à une potanche
Pour faire pus o quiens et la moue o passans.
Oncor si je sçavais su porteus de Gazettes
Et qui corne si bien su tracas à l’hotel,
Je le remercirais de toutes ses sornettes
En ly plachant chinq gris su san quien de muzel.
Ou d’un grand coup de piay je l’anvairais o piautre,
Et mogré tous ses dents le prouverais manteux ;
Mais ne le crayais pas ; y me prand pour un autre ;
Je sis garchon d’honneur, demandez o cacheux.
Quay que j’ais fet caca o dodo à me n’ote,
Ce seront chavetiais qui soutiendront su cas ;
Vray est que revenans d’aveuques vous à Tote,
En pensant me coucher, je fis du mal o dras.
Par haut et non par bas ; vous m’aviais tant fet baire
Qu’i fallut m’amener couchai dans un benel ;
Me n’ote, me vayant rouler à mi se n’aire,
Venant pour me lever, l’i crachis o muzel.
Mais ce fut le plaisir quand dessus la nuictaie
L’envie me happit de decherger man cors ;
J’allis tout deguainer dedans ste queminaie « se queminaie ».
Je le couvris de chandre, et pi je me randors.
S’en venant tôt aprais allumer sa candelle,
Y fiquit ses chinq dais dedans le faguenas,
Et vou donit o dieble, vou et vote sequelle,
Pour m’aver enivray à mesme le fro ras.
Je sommes à present amis comme trovyes
Y n’a pas quatre poux qui ne m'en donne deux
Et chite y leque oncor tou les iours mes roupies,
Car, comme vous sçavais, je ne sis q’un morveux.
Apres vous m’appelais un vrai peteux d’Eglize,
Que pour oui et pour non je craque par le bas.
Voulais vou que je creve ? Aga ! si ma quemize
En gaunit queuquefais, che n'est pas si grand cas.
Si je gardais ses vents, queuque forte colique,
Bredoüillant mes boudins, m’etranglerait d’abort,
Pi vous diriais : « Hélas si man cher fils unique
Eut petai fort et ferme, y ne serait pas mort. »
Vous me craiais oncor pour etre de ses heres
Qui trachent leur bonheur la minuict à tatons.
Vous en avais menti pour su coup là, ma mere ;
J’en jure sur ma fay ; je crain trop les batons.
Et pis ces patroüilleux qui courent par la ville
Aveuque leurs rapiere et leurs « leur ». tuyaux de fer
M’acroqueraist bientos ; pis, adieu povre Gille !
Je m'en irais bel erre o fin fond de l'enfer.
Du depis q’une fais je m’esbreüillis la mine
Encontre le benel de monsieur l’Amiral
Qui vidait les privais à commere Lurine,
Je ne sors que de jour ; je me fis trop de mal.
Du rebont je requs, parlant par reveranche,
O mitan du tracas où j’en eus jusqu’aux yeux.
Tout par tout o j’allais, je portais ma sentanche ;
Jamais, o grand jamais je ne fus si foureux.
J’étais de neuche alors ; j’allis tout d’une tire
Me laver dans Robec pour laver mes habits ;
J’y cudis m’achever bredillant ma tirlire
Encontre un gros potiau qu’en sautant je trouvis.
J’iray peut estre à Tote pour vous vair à ste fete ;
Apretez pour ma piau du pray doux et du ros.
Je vous eusse pu tost fet present de ma téte ;
Mais ma presenche était requise o Palinos.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
La vingtieme partie de la Muse normande, ou Recueil de plusieurs ouvrages Facetieux en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant les œuvres jovialles qui ont esté presentées cette année aux Palinots, 1644, Rouen, David Ferrand.
David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 29-32.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
–
Commentaire linguistique
–