Stanches
David Ferrand
Éléments contextuels
1627
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
Maints ingenieux, desirant rebastir le Pont de Pierre de devant Roüen, firent un bastardel
esperant faire un arche au fond de la riviere, mais il y perdirent leur peine ; c’est
pourquay l’Autheur en a fait la description.
Stanches.
J’estait à men mestier d’où fort ptiot je m’eslongne,
Lors que Gervais me dit : « Denis, prens ten capiau,
Cauche tes bons souliez, quitte là ta besongne,
Et vien t’en aveu may « mai ». vair su grand bastardiau.
« Ce z’embracheux l’ont mis sur le bord de la Saine ;
Y voudraient bien ennuit o mitan le plaquer,
Y l’y prindrent hier tretous bien de la paine,
Mais jamais leu z’engins ne luy purent fiquer. »
Bien crevieux de vair un aintel habitacle
Je venon ly et may aveu nos tisserens « tisseren »..
Mais estant su su qay « qai ». pour vair tieul tabernacle,
Je ne sceume aprecher « apprecher »., tant il y avet de gens.
No n’avait oncor veu tant d’hommes, femme « femmes ». et filles ;
No les veyet « vayet ». jerquez juqu’o « jusqu’o ». haut des maisons,
Les uns s’entrevesquest aveu leu ustencilles,
Mais y l’estais « l’estaient ». servis à grand coups de bastons.
Jamais ne fut oüy un aintel tintamarre,
Comme y faisaient tretous otour leu « à tou leu ». tourniquets
Pour les faire trotter y criaient : Barre, barre,
Pis ses bardeux tournest comme ses ptits roquets.
Un tourniquet rompit et la corde bandée
Allit bailler à un un si grand « à un si grand ». chifrenel,
Qui l’enveit o loing pu de dix égambées,
Tumber les pieds dremont, le cul dans le renel.
Ne voulant rechever une canche mauvaise,
Ainchin que j’avions veu arriver à stila,
Je no z’allon fiquer pou mieux « non mieux ». vair à notte « notre ». aise
Dans ses cambres d’opres là o no fait caqua.
Checun mettait la main à ste grande machine,
Et le veyant ainchin tirer, y « il ». me semblait
Vair su cheval de bois qui mit Troye en ruine,
Car ainchin comme ly tout Roüen l’apetait.
Pu effriez pourtant que des fondeux de cloque,
Ses biaux entrepreneux devredayent tout d’angain,
Car tout chen qui faisaient ne vallet une broque ;
Parquay no quittit tout jusques o l’endemain.
Biaucoup de niaiz, pensant pour chose bien certaine
Qu’on l’y mettrait la nuict « nuit »., n’en voulurent bouger,
Et furent à beyer su le bord de la Saine,
Tout le long de la nuict, sans baire ny manger.
L’endemain o matin, y le mirent « mire ». à nage,
Checun fit grand gouée en l’y veyant aller,
Et tel n’avet entr de trais jours en l’ouvrage,
Qui s’y mit desireux de s’en aller souper « Qui qui si mit si desiret souper »..
Fin.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
La Premiere et seconde Muse normande ou Recueil de plusieurs ouvrages facetieux en langue purinique, ou gros Normand. Recueillis de divers autheurs, s. d., Rouen, David Ferrand.
David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. I, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 48-50.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
En 1627, l’ancien pont sur la Seine était en ruine, et il fut question d’en construire un nouveau à proximité, sur la suggestion d’ingénieurs parisiens, tandis que les échevins de Rouen s’obstinaient à vouloir réparer l’ancien pont. En attendant, un batardeau (pont provisoire fait de bateaux), fut établi.
Commentaire linguistique
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