Sur l’arrivée des Polonnois
David Ferrand
Éléments contextuels
1646
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
Sur l’arrivée des Polonnois
Stanches « Stances ».
Men compere Lucas, quand tu es aveuq may,
Tu t’enqueste tousjours si je sçay des nouvelles.
Pren vitte ten mantel et t’en vien su su quay
Jamais de ten vivant tu n’en as veu d’aintelles.
— Su su quay ? O pu prés je compren ten devis,
Ch’est oncor queuque hen ; y faut que je te die
Qu’il y a tant d’imposts et de nouviaux Edicts,
D’en paler j’en avon la caboche estourdie.
— Jens ! d’en paler ossi « assi ». ch’est vrayment se moquer,
Che n’est su ses malurs que men discours je fonde.
Prens, dis-je, ten mantel, vien aveuq may luquer
De nouviaux lifrelofs venus de l’autre monde.
— Et conte may queu vent le z’a chite accachez « a cachez ». ?
Cangent t’y de pays ainchin que le z’erondes « zeronde ». ?
Dy queu visage y l’ont, comme y sont habillez.
Y me semble à t’oüir que tu me dis des songes.
— Y sont amitouflez ainchin que des renards,
Et tou leu cazaquins sont doublez de peluches ;
Y l’en portent les coins par orgueil su leu bras
Coume les chavetiez font ichy leu z’aumuches.
Jamais sorcier ne fut mis à la question
Pu rasez et pelez y n’ont poil à la teiste,
Sinon tout o coupel un « en ». petit torquillon
Qui vo razent oncor toutes les bonnes feistes.
Les veyant je pensez estre aveuq tay o pont,
Attendant du travail comme ch’est la coustume.
Je luquais leu bonnets, car, tout o tant qui sont,
Y n’ont pas un capel de pur qu’on ne les glume.
Y l’ont leu taint jaunastre « gaunastre ». et le z’yeux égraillez,
Ainchin coume nos cats, y tournent leu prunelles ;
Pour leu valets y sont reliez et piollez,
Tout ainchin coume o Roys no peignet nos candelles.
Y portent à leu mains de long manches de bois,
Où l’y a deux bouts de fer l’un est coume une hache,
L’autre est coume « comme ». un martel propre à casser des noix ;
Mais aveuq chennela y font bien des bravaches.
No veit à leu costez de larges coutelas,
Ainchin coume à ces « ses ». Turcs no z’en veit « voit ». de semblables,
Dont y vont avallant les gambes et les bras,
Et sont en leur fureur oncor pis que des diables « pire que diebles »..
Je voulus ossi vair disner se z’estafiers ;
Sans table, des tapis sont leu tables quemunes ;
Y s’achichent ainchin « ainsi ». coume ses cousturiers,
Quand dessu leu z’etaux « le zetaux ». y vont gobant leu « les ». prunes.
Y baivest comme trous « nous ». de notte vin François
Qui leu semblet milieux « milleur ». chinq chens fais que leu bieres,
Et fezest pu de brit en buvant su pivois,
Que ne font o marché toutes ses pessonnieres.
Si no n’uzet ichy nen pu qu’eux de souliez,
Messieux « Messieurs ». les Chavétiez ne frest tant de merveilles ;
Y se bottent tousjours et sont tretous ferrez
Coume ses ptits chevaux qui ont grandes oreilles « de grandes oreiles »..
Je les sieuvis un jour jusques dans Nostre Dame,
Pour vair chen qui ferest « fezest ». estant dans su saint lieu ;
A genoux aveuq eux le bon Dieu je reclame,
En portant grand respec à la Maison de Dieu.
No diset que ch’etet Turcs et Anabatistes « Aganabatistes ».,
Que chen qui l’en fezest ch’etet contre leu grey,
Qui detestest tretous les moynes et Jesuistes ;
Mais bien tost je connus que chela n’etet vray.
Car un prestre sortant dehors du revestiaire
Pour aller à l’autel qu’o dit du Sainct Esprit,
Y l’y acourent tretous par devote maniere
Pour y adorer le corps et sang de Jesus-Christ.
Su grand laque y estet et la fille à Toinette,
Su gros Bertelemy, Sebastien Lenfley,
Guillemin Gosse Tout, la petite Perrette ;
Vaire pu de chinq chens les luquest coume may.
Mais l’y eust bien du cabeüil, quand che vint l’Evangile,
En leu veyant tretous tirer leu « le ». coutelas ;
Tout otant que j’étions je fisme bien tost gille,
Pour n’estre point presens à su « du ». sabat à cas.
Je courions coume o feu tretous vers ste Calendre,
Car un checun « chequ’un ». creignet rechever queuque affront ;
Les degrez du portail qui servent à dechendre
Checun « Chequn ». y trebuchet les quatre pieds drémont.
Ste Massette y perdit en quechant sa galoche,
Jenne sen « son ». chapelet, su laque sen capel ;
Berthelemy en tumbant se cassit la caboche ;
Essite en deux lambiaux no boutit sen mantel.
Mais chela durit peu ; Betran, su grand galume,
No r’appelle et no fit r’entrer dans su saint lieu,
No disant : « Bonnes gens, chela est leu « leur ». coutume,
Quand t’y z’oyent quanter l’Evangile de Dieu. »
Je les sieux niomains, la Messe estant finie ;
Là je revisme « revsme ». oncor du grabus su su quay.
Un de leu compagnons, qui etet plain d’iau « d’eau ». de vie,
Y feset tout chequ’un « chaqu’un ». enfyre devant say « sey »..
Y frapest su chequ’un et d’estoc « d’estoq ». et de taille ;
Flamens et Hambourquais y fit courir à bord ;
Leu quables y coupet tout ainchin qu’une paille,
Sans s’enquester qui avet ou le dret ou te tort.
Je ly « li ». vis affronter un essieu de querette,
Qui deplaizet à vair à su grand fier à bras ;
Le fer y « i ». l’en coupet ainchin qu’une allumette,
Tant etet bien trempay sen quien de coutelas.
Vla tout chen que j’en vis, car de pur de querelle
D’estre opres mes tizons je « me ». trouvis pu certain.
Si tu veux de ces gens saver queuque nouvelle,
Va t’ien « t’en ». devers su sair, car y s’en vont demain.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
La XXII. partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facecieux en langue Purinique, ou gros Normand, 1645, Rouen, David Ferrand.
David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 67-71.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
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Commentaire linguistique
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