La Bourdigade du vin


David Ferrand

Éléments contextuels

1646

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

La Bourdigade du vin


Compere, leve tay : veux-tu estre malade ?

Allon z’en su su quay pour vair ses vignerons.

Je vayais avontier une vray Bourdigade ;

Tout le monde trinquet assis su ses poinsons.


No n’y est nen pu ny mains qu’o z’etet l’autre année

Illoq dessu ses monts à dragler « ces monts à devaler ». du froc ras.

Y n’y a pas tant d’imposts coume « comme ». à l’année passée ;

Ch’est pourquai « pourquoy ». no z’y « no zi ». baist aveuq ptiot de goumas.

Jens ! allons ossi bien, j’ay « j’ai ». beu une bouteille

Du sidre que no vend illoq su Menuissier « Menuisier ». ;

Mais quay ! ste bechon là me n’esprit ne resveille ;

Men bon compere, y l’est tout ossi sur qu’aisier.


Vien t’en donc, car no l’a à chinq sous la potée ;

Qu’on mande un rotisseux, y l’y « li ». est incontinent ;

No z’i porte le pain tout à plaine hottée ;

No ne « ny ». manque de rien, ne manquant point d’argent.


La fille o grand Colas, ste petite escaliere,

Vendant du haran sor, trouvit bien sen calcul ;

A les mettet griller dans sa ptite caudiere,

Où a l’avet rosty pu « rosti pus ». de chent fais sen cul.


No baille à tous venans ; un chequ’un y est libre ;

No vend tout chen qui faut à baire su pivois :

Des pommes et des noix, du fromage « frommage ». à la livre ;

Le pire ch’est qui n’y a hutte à brusler du bois.


Mais en buvant su « ce ». jus, o z’y « n’y ». gaigne l’onglée ;

No cauffe ses boudins aveuq su vin cleret,

Et depis une fais que la pie est jouquée,

Je veux estre berné si no pale du fret.


No ne discourt y là de perte ny de gaigne,

Ny maint des boncroutiers qu’ont print nos Philippus ;

Je m’imaginais estre o pays de Cocagne,

Car j’entendais par tout chanter Godiamus.


Chen que je vis de bon à mettre à mes registres,

Che fut à contempler chinq ou six chavetiers,

Qui buvant en trevet avallirent « avalirent ». tant d’ouystres

Qui trouvirent le fond de deux ou trois paniers.


Y vo supest chela comme un gay fait des mouques,

Et pis y vo prenest un grand coup de piot ;

No m’a dit qui l’y eust qui laissirent leu pouques,

N’ayant assez d’argent à poyer leu z’escot.


L’on ne danset ainchin qu’o autres bourdigades « dansest comme l’autre an o bourdigades ».,

Car chequ’un, coume o dit, n’a pas le pié marin ;

Y craignest de tomber en fezant leu gambades

Et d’avaller pu d’iau qui n’avest fait de vin.


Mais y vo trelarest la canchon à Turpine

Les vaudevire estest glumez « gluviez ». de tous costez ;

Le pot vide, y criest : « Allon, oncor chopine !

Morgoy ! je n’on pas beu à toutes nos santez. »


Les femme « femmes ». estest à quay qui les regardest baire,

Qui devredest d’engain en fleurant des naziaux,

Car y n’osest aller, coume y font su leu z’aire,

Su ses petits chemins qui vont à ses bastiaux « Pour le z’aller trouver dedans tous ses bastiaux »..


L’y en « en » parfois omis. eut une qui dait sur tout estre blasmée,

Qui crie à sen mary : « Pale, hay ! vieux saulard « soulard ». !

Parieu, tu trouveras notte porte fermée,

Va, va, ne pense point qu’o t’atende si tard. »


Chela le contraignait à ly dire : « Perrette,

Men ptit cœur, va querir queu nou notte flagon.

Mort d’un petit poulet ! y faut que je te trette ;

Y t’y en era « Y l’y era ». deux pots su sair à la maison. »


Bonne fay, su mot là fit faire des merveilles.

Le z’autre à se n’exemple allire « allirent ». à leu maisons

Et apportirent tant de canes et bouteilles

Qui firent tout quitter à ses bons biberons.


J’y fus un jour apres en querir de la sorte ;

Il est vray que che fut en un jour solemnel ;

Mais, comme je passais à l’entré « l’entrée ». de ste porte,

J’en vis un qui recheut un bien grand chifrenel.


No m’a dit qui l’avet mal palé de la garde

Qui l’en estest venus ylà jusqu’o gros mots,

Qui fut cause qu’un d’eux hapit sa halebarde,

May je criais : « Messieux, vivons tous en repos. »


Et, pour ne m’entremettre à chen que n’ay que faire,

Men flagon sous men bras tout outre je passis.

Entendant discourir avanthier de st’affaire,

No dit que le levain n’en estet pas rassis.


Mais ch’est trop caqueté allons ensemble baire

Chopine ou trois demions de su bon vin nouvel.

J’en bron tout ossi bien coume o fezet ste faire « foire »..

Allon, le bon vin fet regaudir le chervel « Fin » parfois ajouté..

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

La XXII. partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facecieux en langue Purinique, ou gros Normand, 1645, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 72-75.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique