Missive de Perrine Croquenavet
David Ferrand
Éléments contextuels
1646
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
Missive de Perrine
Croquenavet à sa bone et bien aimée nieche Sarra la fessuë demeurant queux se n’oncle
Colichon Godet
Je t’escris en trois mos la grande doulianche
Qui nos est arrivée orains en su hamel.
Aga ! ch’est que la fille à Sabiau de la Panche
A estay enlevaye opres du Biaufichel.
Su grand laque l’aimait d’une amour enragaye,
Et se batit orains contre notre berquer
De qui oparavant elle estet recherchaye,
Et qui jurit sa fay qui la voulet aver.
D’un coup de sa houlette il ly fit pres la fesse
Un grand treu où ten nes se fiqueret dedans ;
Mais su laique ossitos vo l’empoigne et le presse
Et à grand coup de point, zon zon, dedans les dents.
Il li hape l’oreille et li romp la machoire,
Et coume un pot de terre il le rend egeulay ;
Mes, pour les separer, vechy venir Gringoire
Qui se mit entre deux aveuque Lengelay.
« Toubiau, dit-il, Messieux, fot il pour une fille
Ainchin se camailler et fere les mechans ?
Allez, quittez la là ; il en est chinq chens mille
Qui fete dans la ville ossi bien coume o camps. »
A chu mot là tou deux en fache i s’entre lorgne,
S’en retournent ensemble et vont baire à Puchay.
Nos oüit pourtant dire à su Colin le borgne :
« Vos disputiez la fille et ch’est may qui l’eray. »
Via le tritre qui ch’est qui no l’a enlevaye
Et qui nos a causay tout su grand troublement.
Je voudres qu’a n'eut point levay de la journaye,
O bien que j’usse estay à se n’enterrement.
Hela ! tou les matins no vait ma seur Tienote
Plorer à grosse lerme et grand gémissement ;
Quand a vait sen garcul oncor tout plein de crote,
Cha redouble chent fais d’otant pu sen tourment.
No l’a biau consoler dessus chete misere,
Nos a biau li conter qui pourra l’epouser,
A ne peut apaiser sa doulieur si amere
Ossi to[st] qu’a se met oncor à y penser.
Vla donc pour un ; itam, i no survint oncore
Un autre grand malur à su mais de juillet :
Ta seur qu’este[t] nouriche a ecoutay Gringore,
S’est lessaye abuser et a troublay sen let.
Je te lesse à penser chen que dierra sen homme
Mes qui vienne à sçaver su cas là si nouviau ;
Je frichonne de pur, craignant qu’il ne l’assomme,
En se vayant pourveu de la vaque et du viau.
No dit bien qu’un malur ne va jamais sans l’autre ;
J’avais les dais tou gaune o tans que cha fu fet,
Je perdis un chabot avec ma patenostre,
Et, passant par noste v, j’arrachis men corset.
Tu dais bien te mouler sur un si bel yeuxemple,
Etant ainchin plaquaye en chu lieu o tu es.
No m’a dit que Lenflay « Leuflay ». te flate et te contemple ;
Garde tay bien sur tout qu’il ne donne dans l’ais.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
La XXII. partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facecieux en langue Purinique, ou gros Normand, 1645, Rouen, David Ferrand.
David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 75-77.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
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Commentaire linguistique
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