Les Maillotins n’avalleront pus d’oüistres
David Ferrand
Éléments contextuels
1647
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
La veille des Pallinods, il arrive deux barques d’huistre à l'escaille en la Ville
de Rouen, pour porter à Paris : les vendeuses d’escaille estant en grand nombre s’y
opposent, vont chez les Magistrats, et font tant par leur haut crier qu’ils eurent
le tiers pour vendre en la Ville.
Cant rial
Hier o matin j’allis par fantasie
Devers su quay où sont tous ses buriaux ;
Là je luysais en queuque z’écritiaux
Qui faut poyer l’entrée et la sortie,
Et qui convient en aver les meriaux,
Lors que je veis venir une marmaille
Gens qu’o z’entend crier : Huistre à l’escaille,
Piroüettant coume la poudre o vent,
Le z’yeux brillans coume o soleil les vitres,
Qui par engain criest tout hautement :
Les Maillotins n’avalleront pus d’oüistres.
Je les sieuvis, et aveuq courtoisie,
J’en accostis deux qu’estest sans mantiaux.
Y me deflubent ossi tost leu capiaux,
Et may le mien ; et alors je les prie
Dire où allest tant de gens par mouchiaux.
Eux qui pallest et d’estoc et de taille,
Me dirent lors : « Où pensez vou qu’on z’aille ?
No va trovuer Messieurs du Parlement,
Le Lieutenant et les autres Ministres,
Pour obtenir que par leu reglement
Les Maillotins n’avalleront pus d’oüistres.
En les veyant paler coume en furie
Je quitte là aintieux godeluriaux,
Et je m’avanche o travers des reniaux
Pour escouter l’engain et fascherie
D’aintieulles gens, où estest maints gruriaux.
« Je ne gaignon presque denier ny maille ;
O no reduit à coucher sur la paille,
Car l'oüistre estet notte soulagement ;
O no ravit notte vie à faux tiltres.
Si les Messieurs jugent équitamment,
Les Maillotins n’avalleront pus d’oüistres.
« Je somme bien chinq chens de compagnie
Dessu su quay à guaitter ses batiaux.
J’avon les mains dessouz nos devantiaux,
Le cul o vent, et au nez la roupie
Avec nos pots peintres de maqueriaux.
Et je verron un nombre de quenaille
No z’enlever notte propre vitaille,
Chen qui no dait nourrir journellement,
Gens qui ne sont o pays que des tritres !
Chela sera, j’en avons fait serment :
Les Maillotins n’avalleront pus d’oüistres.
« Tou no maris en sont en frenaisie
Dessu su quay faisant des regardiaux,
Et le petun sortant de leu naziaux
Fait qui leu prend quasi en fantasie
Faire à ces gens gaigner les gigotiaux.
Mais les hupais qui ont de la clinquaille,
Ne voulant point vair aintieulle bataille,
Leu vont disant, mais rigoureusement :
« Le Roy le veut, ces gens sont ses Ministres,
Et n’entend pas qu’on dise dans Rouen :
Les Maillotins n’avalleront pus d’oüistres. »
« Y l’en éront. Mais queulle diantrerie !
No leu z’ira plaquer à leu muziaux
Du pesson frais qui les rendra meziaux ;
Pis en apres la povre Normandie
Pour un tieul cas sera mize o z’appiaux.
S’on leu fezet une tieulle accordaille,
Je coucherions putost dessus la paille
Y l’en éront, mais bien équierchement,
Ou l’y éra ichy d’autres begistres.
Je creveron, ou bien sans remuement
Les Maillotins n’avalleront pus d’oüistres.
« Mais qui nous met oncor en frenaisie,
Et qui no fait devreder dans no piaux,
Ch’est qu’o no dit que de ces mangeriaux
Il y en a de notte draperie
Gens qui ont riflé tout jusqu’à leu houziaux.
Ch’est l’ordinaire ; apres que ste quenaille
A tout grugé faisant par tout gogaille,
Dans tieux partis se jettent vistement.
Mais, mogré eux et de tieux aintels tritres,
Je feron vair que, souffrant su tourment,
Les Maillotins n’avalleront pus d’oüistres.
« Y l’en aurqnt, ma commere et m’amie,
Mais ce sera quand y n’auront plus d’iaux,
Que les pessons seront comme morviaux,
Et qu’o z’era ainchin que fit Marie
Pissé dessus pour fermer leu barbiaux.
Y sont friands d’une aintelle maquaille,
Oncor qu’on sçait qu’a ne vaut rien qui vaille,
Que l’oüitre en est gaune comme safran ;
Y glument tout ainchin que des gomitres ;
Mais bien ou mal, je dirons librement :
Les Maillotins n’avalleront pus d’oüistres.
Envay aux escalieres
Ne prenez point pour chla melancolie ;
Mes bonnes gens, rengainez vos coutiaux ;
Sçavez vou pas que par tout on fait miaux ?
Pu que jamais l’y a de la mangerie ;
No met su tout jisques o vieux drapiaux.
Y l’en eront ; de chela no vo chaille,
Pour vo monstrer que de vou no se raille,
Dimanche o sair un bastel nuitamment
Coulit à mont mogré tou vo z’arbitres.
Ne dites point donc si asseurément
Les Maillotins n’avalleront pus d’oüistres.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
La XXIII. partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facecieux en langue Purinique, ou gros Normand, 1647, Rouen, David Ferrand.
David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 82-86.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
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Commentaire linguistique
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