Pleurez, petits enfans, vo z’erez des cherises


David Ferrand

Éléments contextuels

1647

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Quelques Partisans avest pris le party de la revente des fruicts « fruits ». en la ville de Roüen ; mais, sur quelque « queuque ». contestation, Messieurs du Parlement virent que leurs « leur ». lettres n’estoyent en bonne forme ; c’est pourquoy on « pourquay no ». fit abbatre le Bureau, au grand contentement des fruitieres.

Cant rial « Cant ryal ».


Ch’est un terrible siècle au temps que les miseres

O povres gagne-liards « O povre gaigne liars ». fait redoubler les voix,

Qu’on vait les pu hupez delaisser leu z’affaires

Pour oster du public de z’ecritiaux « zecriteaux ». contraires

A ceux qui peuvent nuire à nos z’antiques loix.

Nostre benin « benit ». Sauveur, derechef nou vou prie

No retirer des grifs d’aintieulle mangerie,

Qu’o veut mettre o marché dés il y a long temps,

Afin qu'ayant rescouz no prumieres « nos premieres ». franchises,

Puissions toutes crier pour gaigner no despens :

Pleurez, petits enfans, vo z’erez des cherises.


Helas ! où est le temps que nos peres et meres

Vivest dedans Roüen ainchin que petits Roys,

Qu’on z’estet librement sans aucunes encheres

Sur le sidre et le vin, le peray et les bieres,

Sur le sel, la candelle, et le beurre « beure ». et le bois.

No z’allet au marché sans supersticherie,

Sans burel comme y l’y a su la pessonnerie ;

Y l’achetest le fruit sans fraude ny sermens « serment ». ;

N’y avet de regratiers « regratiere ». nen pu que de surprises ;

Caqu’un criet, ayant poyé ces povres gens :

Pleurez, petits enfans, vo z’erez des cherises.


Mais y l’est arrivé des races de viperes,

Qui ont fait un burel depis deux ou trois mois

A revendre le fruit ainchin que « quo ». pessonnieres.

Des casaques d’argent mirent leu Commissaires,

Mais y furent trompez, bien qui fussent matois.

Car no vieux Magistrats (que le bon Dieu benie !)

Veyant leu z’écritel, virent leu tromperie ;

Y mirent bien tost bas leu establissemens.

En notte prumier « premier ». estre enfin je fusmes mises,

Afin que je crions, ainchin que de tout temps :

Pleurez, petits enfans, vo z’erez des cherises.


Ses diebles no disest : « Allez vou z’en, flannieres,

Refaire vo « vos ». mestiers qu’ou feziez autrefois.

Qu’est qui vous z’a quernez de « quené a devenir ». devenir fritieres ?

Vo faites su trafic coume des friolieres « friollieres ».,

Pour croquer en criant prunes, poires et noix. »

Mais que ferons nous donc, puis qu’à « que ». la lingerie,

A rembroquer des bas, à la dentellerie,

Et reteurdant « Et teurdant ». le fil mettre le gros dedans,

Ocun n’espargne pas à blanchir ses quemises ?

Je gaignon biaucoup pu à crier o printemps :

Pleurez, petits enfans, vo z’erez « z’aurez ». des cherises.


L’y a bien du malur, car tous ces povres haires

Avest bien avanché mille livres tournois,

Pour poyer les fritiers, et en d’autres affaires ;

Mais de la pu grand part d’aintelles regratieres,

Y n’en recheveront jamais pille ny croix.

Quand y les vont trouver à leu revenderie,

« Cha, baillez de l’argent, Guillemette, ou Marie, »

Y l’estendent les grifs ainchin que des serpens,

Les envayant « envayent ». o Dieble avec leu z’entremises « leu entremises ».,

Leu disant : « Je cryron oncor, mogré vo dents :

Pleurez, petits enfans, vo z’erez « z’aurez ». des cherises. »

Envay

Messieux les Partisans, vlez vo que je vo die :

Laissez vivre en repos ste povre Normandie.

Considerez qu'il y a nombre de povres gens

Qui ne gaignent un liard en aucunes maistrises,

Et sont contraints « contrains ». crier, mais bien d’un autre sens :

Pleurez, petits enfans, vo z’erez « vous z’aurez », « vous aurez ». des cherises.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

La XXIII. partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facecieux en langue Purinique, ou gros Normand, 1647, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 89-91.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique