Stanches


David Ferrand

Éléments contextuels

1647

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

L’entrée et estat de neuf cens Espagnols et Dunkerquoys, dans le Hallage de la ville de Roüen, et de ce qui s’est passé en ce lieu jusques à leur sortie.

Stanches

Men compere Robert, quitte là te n’ouvrage ;

Vien t’en aveuque may luquer se z’Espagnos « Espagnols »..

Je les vis hier « hyer ». entrer tretous dans su Hallage « Holage ».,

Où ch’est qu’o « qu’on ». les tasset ainchin que des fagos.


Si tu le z’avez veus « veuz ». comme may à la mine,

Tu serais effrité et n’en pourrez paler.

Ch’etait des recapais du camp de la Famine,

Car le vent les fezet « feset ». tournioller en l’air.


Si no le z’eut ichite envayez par vainture,

No z’eust z’v pour vingt francs chent chinquante Espagnos « cent cinquante Espagnols »..

Ch’etest harens sorets (o mains pour la peinture),

Reservé qui n’avest tant de chair su leu dos.


Quand y furent venus aux portes de la Halle,

No les contet ainchin qu’un troupel de moutons ;

Pour armes ne portest su leu dos qu’une malle ;

Bien vray qui l’y en avet qui portest des bastons.


Je disais à part may : « Sont che là ces bravaches,

Que no no prosne tant que ce sont Rodomons ?

Y ne relevent point ichite leu moustaches,

Comme o no fait acraire estant de là les monts « mons ».. »


Y l’y en avet pourtant qui avest l’hymeur « l’ymeur ». gaillarde,

Et qui ne s’en souciest de se vair ainchin pris.

Y menest aveuq eux la petite gouiarde ;

Pensez qu’a leu servest à bachiner leu lits.


Là où ses cauchetiez ont éluit leu boutiques,

La ville avet plaqué les chent harquebusiers,

Gens bardez à plaisir de mousquets et de piques,

Qui ne lessest entrer que les officiers.


Su grand nyais de Simon, le fils à ste Susanne,

Pensant bien s’y glicher en veyant l’huys ouvert,

Recheut un horion d’un coup de pertisanne ;

Y l’en eut pu d’un mois le musel gaune et vert.


J’y entris niomains aveuq Messieux « Messieurs ». de Ville ;

L’y en avet queuqu’un d’eux qui me connesset bien ;

Y crayest que je fusse en su lieu là utile :

Ouy, mais ch’etet pour vair, non pas pour faire rien.


Je n’eus pas fait chinq pas, ayant tel avantage,

Que je courus o brit d’un troupel de quellin,

Qui ne s’entrescoutest dedans leu potinage,

Et fezest pu de brit que claquets de moulin.


Je m’enquis à queuqu’un que voulest ces flannieres,

Et y me dit : « Ce sont les vendresses de pots,

Qui vident leu procez encontre les lingeres,

Pour saver là où dait quier se z’Espagnos « Espagnols »..


Paravant leu venuë o z’avet prins les peines

Faire opres ses lingeres un privé « privey ». z’à l’escart ;

Mais d’otant qu’o z’y mit loger les capitaines,

Messieurs trouvirent bon de les faire autre part.


« Mercy Dieu, se disest les potieres de terre,

Je ne sentirons point de ces gueux tel parfun ;

Qui s’en aillent guiller opres leu chefs de guerre,

Ils en perdront le fler en humant le petun. »


Les lingeres voulant en demeurer maistresses,

Dirent que les privez ne serest prés des chefs ;

« Mais y descouvriront opres de vou leu fesses ;

Lorgnez, si vou voulez, leu grands pendans à clefs. »


Chela fut ossi-tost, car sans autre ordonnance

Avec pesles et piquois no veit vingt ouvriers

Qui remplent su fossé, aveuque l’esperance

D’en faire un ossi-tost opres de ses potiers.


L’y en avet bien chinq chens sous ces longues halettes,

Où ch’est que ces chinchers estallent leu z’abits,

Où ch’est qui l’ont laissé tels nids de sapinettes

Qui ne s’en ont pas pu en nettier depis.


Quand no le z’eut platrez dedans leu demeurance,

No vit bien que leu dents criest desia la faim ;

De pain et de froumage no leu fist delivrance ;

Mais si l’etest legers, ossi estet leu pain.


No leu baillit de l’iau en biere peinturée,

Tout ainchin que souvent no vait l’iau de Robec,

Lors que ses tainturiez y jettent leu vaudrée ;

Y n’importe, tout chela leu passet par le bec.


Pour ceux qui n'auest point d’argent la bource plaine,

N’ayant tant à dragler ainchin qui l’en falet,

Comme liévres y courest tretous à la fontaine,

Et comme plusieurs font y tutest l’agnelet.


No leu vendet de l’iau à metié yau de vie ;

Le pu meschant petun n’avet point là de pris ;

No leu z’en a vendu, pour sauler leur z’envie,

Des bouts que no tiret de la corde d’un pis.


De vinaigre et verius y n’avest point que faire

Pour donner appetit, et l’indigestion

N’en fit pas à un seul mander l’apotiquaire ;

Leu estomachs « estomach ». fezest de bonne coction.


Leu lits estets drechez à mode de la guerre ;

Y ne nichest si haut ainchin que je nichons ;

Leu qualit s’eslevet tout rasibu de terre

Et leu coutil estet plein de plume à cochons.


No leu « les ». vayet bleffer leu pain et leu froumage,

Sans en estre honteux, ny se mettre à l’escard ;

No le z’ut « z’eut ». prins pour gays qu’estest nourris en cage ;

Bien vray qui ne pouvest lors prononcer Richard.


Richard… les chavetiez par bonne destinée

Dedans leu halle en ont un antique depost ;

Qu’on luque dans su lieu, no vait la queminée,

Où ch’est que su « ce ». bon Duc fezet cuire sen rost.


A prepos de vrelus, mais queulle diantrerie

Qui faut que ces gens sest fiquez à tout endret ;

Car un d’eux se lanchit dans ste gendermerie,

Qui gazoüillet ainchin que queuque perroquet.


Y palet de l’Estat, de la paix, de la guerre,

Et de chen qu’à Munster pratiquet nos François,

Du grand Turc qui par tout fait voir son chimeterre « cimeterre ».,

De la rébellion qu’est entre les Anglois.


Mais un petit trapey qu’est d’assez bonne mine,

Ly dit : « Demente tay de coutre ten soulier ;

Pour chela tu n’as point la chervelle assez fine ;

Entremets tay des cas qui sont dans ten mestier.


Mais pourquay les fiquer dedans notte encloture

Sans en mettre en la halle à nos prochains vezins,

Qui vendent à nos z’yeux des souliez sans couture ?

Bonne fay, no vait bien où l’y a des cousins.


« Et yoncores « y encores ». pour mieux fouler su notte balle,

No z’a fait à l’entrée un privey « privez ». vitement,

Chela a decanlé du depis notte halle,

Pourche qu’en y entrant no n’y sent que le bren.


« Et tout le pu grand mal, et qui plus no z’importe,

Pas un de ces soudars n’exerçoient « n’exerçoyent ». leu mestiers,

Qu’un vrelu d’Espagnol qu’estait à notte porte,

Qui pour no denigrer recouset leu souliers.


Et les bouts dont j’avons six blancs à la boutique,

(Oncor est che à venir le capiau à la main,)

Je ne sçay si ch’étet pour no faire la nique,

Su dieble les baillet y là pour un douzain.


« Y n’a point esté querir sen « un ». cuir su la Renelle

Ainchin que je fezons ; mais no gatte mestiers

Leu vendest là dedans des restes de sumelle

Qui l’allest « qui allest ». atrimer « atrimes ». dessu les cordenniers « cordonniers »..


« Rien, rien, tout est perdu, adieu mainte famille ;

Quatre o chinq chens de nou se delousent du tort.

S’en dait-on pas fascher ? pourquay Messieurs de Ville

Ont t’y permis chela sans que j’en sions d’accord ?


« Quay ! perdre un vendredy, le jour de la semaine

Là où ch’est qu’à la halle on vend pu de souliais

O chavetiers horzains, qui en prengnent à douzaine ;

Les Gardes comme may en voudront du rabais. »


J’y allis tiquer men clou, disant que le Hallage « Hollage ».

N’estet que pour la Ville, et rompant ma raison

Y me dit : « Si je prens un logis à loüage,

Ne m’en diray-je pas maistre de la maison ?


« Bien qu’o set par la guerre en un temps de miseres,

Y ne leu z’est rien deu des maistres chavetiers ;

Car le terme venu, Messieurs les Commissaires

Les font (ainchin qu’o dit) poyer en biaux asniers.


J’ay luit et retenu, ainchin quement un autre

Espluquay la chicane, et sçay que par les loix

Messieurs ne peuvent point no z’envier o piautre ;

Je leu monstrerons bien le dret qu’ont les Bourgeois.


« Bourgeois, oüy da Bourgeois, qui poye les subsides,

Tout chen qu’o no demande et mains divers imposts,

Et qui baille à l’Estat plus de deniers liquides,

Sinon nous qui fezons partout divers escots ?


« Chen que je dis ichy ce ne sont balivernes,

Ains pure verité ; dites en bonne foy,

D’où provient les deniers que poyent les tavernes,

Que de nous qui beuvons à la santé du Roy ?


« Sont che les pu hupais qui font tieulles « tieules ». riolles ?

Sont che ces usuriers dont no fait tant de cas ?

Nennin, en bonne fay, y ne vont o piolles ;

Durant la Messe ossi no ne le z’y prend pas.


« Si poyent queuque argent, j’en avon l’algarade ;

Y sçavent des maisons le terme rehaucher ;

Si vo ne le voulez, la maison est malade,

No ly met un bandiau de maison a louer. »


J’estais tout alieurquy, planté comme un yvire,

A l’entendre prosner devant bien chent Valons ;

Mais craignant ly paler, ou m’escriquer à rire,

De peur de l’engaigner je tourne mes talons.


Je courus la Vieux-tour qu’etet alors frumée,

Où ch’est qu’à chaque endret je pensis étoufer,

Car tous ses « les ». Dunkerquois jettest tant de fumée

Que je m’estimez estre à la gueulle « guelle ». d’enfer.


Je ne pus dans su lieu faire longue demeure ;

Queu plaisir de sentir une tieulle poison !

Je les laisse tuter et m’en vins tout à l’heure

Rede comme un quillard dans ma povre maison.

Fin.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

La XXIII. partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facecieux en langue Purinique, ou gros Normand, 1647, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 91-99.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique