Gagne o drappiers, o chavetiers demmage


David Ferrand

Éléments contextuels

1627

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Cant Ryal

Cors de l’estat, etriquons tous l’alesne,

Fourmes, trenchets, chegrots et estrieux ;

Les galiots qui sont à la cadesne,

Dessus ste mer, attaquez deux à deux,

Sont pu que nous à st’heure chy ureux.

Or qui n’est pu en Franche de trafique,

Notte mestier ne vaut pas une nique.

Chets gourgouillaux ont à leu draps le gal.

Mais, quand l’Engleis hantet note rivage,

O ne vayait par un mal’heur fatal

Gagne o drappiers, o chavetiers demmage.


— Pourquay vas tu palant, dy may, Giresme,

Du drap de siau, o je sis epluqueux ?

Tu veux, ma fey, contrefere le pesme

Et gazouiller comme un entremeteux

De notte état en tout endret fameux.

Va t’en cheux tay et tes bouts ramastique.

Chy je gagnon ore en notte pratique,

Qui ne t’en fache à ten cœur point de mal.

Quand tu avets dessu nou l’avantage,

Tu ne criais ainchy qu’un animal :

Gagne o drappiers, o chavetiers demmage.


— Je sis parfais dreché ainchy qu’un quesne,

L’onglée o pieds et le nez roupieux,

A rebigner chy queuque grosse vesne

Ne dierra point : « Appreche ichy, carleux ;

J’ay un mouchel de botte et vieux soulieux. »

Mais n’en trouvant, d’engagne je me picque,

Et, pis que fos, je rompts dans ma boutique

Fourmes, coffrets, selles, pots et estal.

Enfin j’endeve et vais crevant de rage,

Vayant ichy, à Dieppe et Dernestal,

Gagne o drappiers, o chavetiers demmage.


— Quant les Gogos, qui no z’ont le queresme

Fet un ptiot sec, s’affroquets en ces lieux,

Tu n’avets pas la trongne ainchinte blesme,

Qua tu « Qu’a tn ». faizets marchandise d’aveuqu’eux,

O tu gagnets pu gros qu’un esmoulleux.

En su temps là, tu allets drolatique

A la My-vais, où, plain de jus bachique,

Sous le z’oziers tu tremoussis le bal,

O tu fezets tousjou queuque ravage,

Sans t’escriquer en manquant de métail :

Gagne o drappiers, o chavetiers demmage.


— Va t’en prescher au diantre te n’emblesme ;

Chy no z’avon le temps calamiteux.

Un temps viendra que tu seras de mesme,

Et qu’on verra foulons, tisseux, laneux,

Gratter leu gros o pont comme galeux.

Si queuque jour note grand Rey bellique

Fet vair la paix dans notte republique,

Tant de vessiaux bordront notte canal

Qu’ieuxsif, ainchin qu’un berquier de village,

Tu ne dierras reduit à l’hopital :

Gagne o drappiers, o chavetiers demmage.


— Retire tay, renfrongné Polipheme,

Va, Chabrenaut, fere plache à Messieurs.

Les bons n’ont point, prenonchant maints blasphemes,

O Chelestins eu du boüis deux à deux

Comme ten pere et le z’autre bouleux.

Si te n’erc salle o te n’esprit s’aplique

Ne vaut pu rien, va t’en la nuict oblique

Trainer le char doré de l’Admiral,

Sans pu venir d’un grumeleux ramage

Hennir ichy, ainchin qu’un vieux cheval :

Gagne o drappiers, o chavetiers demmage.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

Troisiesme partie de la Muse normande, Contenant les œuvres iovialles qui ont esté présentées cette année aux Palinots, 1627, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. I, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 55-58.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Ce texte se présente comme un dialogue entre Giresme, un savetier, et un épluqueux, un ouvrier de la draperie, sur leurs misères respectives. Chacun d’eux déclame alternativement une strophe. Le savetier parle en premier.

Commentaire linguistique