Un chabrenault rafraichy dans la Seine


David Ferrand

Éléments contextuels

1647

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Venerantibus admodum nec non honestibus viris et Dominibus Dominibus sive Magistris sive compagnonibus qui utuntur extentionibus brachiorum.

Cant ryal

L’ergument est su chen qui se passit le Lundy 11. jour de Novembre 1647. feiste de S. Martin derrain, sur le pont de bois.

Six gros vrelus plantais à ne rien faire,

(Comme ceux chy qui escoutent st’escritel)

Dessu su quay, le nais dans leu mantel,

En fin entr’eux checun se delibere

D’aler bouler o prez le batardel.

Lors trois à trois qu’on boule d’importance,

Les pu perdant changent de contenance,

En tempestant contre san compagnon ;

Mais seul perdit mogré toute sa peine

Et fut bastay dans su jeu de cochon

Un Chabrenault refraichy dans la Seine.


Pour ses six francs en eut su povre haire

Qui de despit mogriet terre et Ciel,

Pis s'enfonçant sa teite à san capel

Et sans prier du gouster san compere,

Y allit baire o pu prechain hostel.

L'autre qui avet là donnay sa sentence

Et qui juget des coups et de la chance,

Faschay de n’estre à ste collation,

S’encourt conter tout à sa femme Heleine

Qui s’en vint battre avecque passion

Un Chabrenault refraichy dans la Seine.


Mais nos vrelus revenant de l’affaire,

Sa femme vint ainchin q’un viperel,

Et le trouvit su le second bastel

Du pont de bois, où, san trop de colere,

Poussit sa main su san rouge musel.

« Quien de solart, desnüé de prevoyance,

Qui fais un Dieu du ventre et de ta panche,

Qui, pour souler ton gosier trop glouton,

Mange en un jour les bouts d’une semaine,

Je vay te rendre en double carillon

Un Chabrenault refraichy dans la Seine.


Encor un coup sa harangue prumiere,

Repren san chant dessus un ton aintel

« En as tu prins jisqu’o neu Gabriel,

Dis, gros lourdiau, engeance de vipere,

As tu bien tost mis tout dans ton bouyel ? »

D’un ton pu fort rehauchant la cadence,

A le lavit, mais je dis d’importance,

Sans pardonner o poil de san menton,

Pis le jetit d’une main inhumaine,

Afin qu’o mit de l’iau dans sa bechon,

Un Chabrenault refraichy dans la Seine.


Il sçait pourtant flotter su la riviere,

Car vos sçavez du vin le naturel.

Fut il enclos dans le pu lourd tounel,

L’iau tieulement l’honore et le revere

Qu’il est toujours flottant su san canel.

Le Dieu des z’iaux aveuc impatience

Crayet qu’il vint ly rendre obeissance,

Car il portait les merques d’un Triton ;

Mais il quitit st’aquaticque domaine,

Et se sauvit, nageant comme un pesson,

Un Chabrenault refraichy dans la Seine.

Envay

Jetez un ptiot t’œuil de voste climenche,

Prinche du Pis, dessu tant de souffrance,

Faisant percher voste meilleur poinson

De vin nouvel ma tasse toute pleine

Regaudira dedans voste maison

Un Chabrenault refraichy dans la Seine.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

La XXIII. (sic) partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facecieux en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant les œuvres jovialles qui ont esté presentées cette année aux Palinots, 1647, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 136-138.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique