J’ay tout perdu, perdant ma povre femme


David Ferrand

Éléments contextuels

1647

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Cant ryal

Dessouz queulle astre ay je prins ma naissance ?

Je ne sis nay rien que pour endurer,

Je sis un vray ocian de souffrance,

Où tous malheurs viennent en abondance ;

Apres tout cha que serais je esperer ?

Ciel, calme un poy l’ieuxcez de ton orage,

Vais en pitiay men mal et me n’outrage,

Modere o mains ta colere et fureur ;

Tu fais le sourd lors que je te réclame.

Que feray je donc ? Hélas ! men bon Signeur,

J’ay tout perdu, perdant ma povre femme.


Chanla augmente encor ma douliance

De vair ste perte à su temps arriver.

Je n’erais tant regret de se n’absence,

N’estet qu’asteur l’aquilonne pissance

Va refredir mes draps pendant st’iver.

Las ! che m’estet un bien grand avontage

Qu’a m’espergnet la metié « metier ». du coffage ;

Dedans men lit che n’estet que caleur,

Sa chair estant pu caude q’une estame.

J’ay bien sujet de dire en ma douleur :

J’ay tout perdu, perdant ma povre femme.


Qui a fait ce rap aveuq tant d’impudence ?

Si grand set il, craint il point me fascher ?

Tout le mestier courchay de st’insolence

Va emplyer toute sa deligence

Et san credit pour mieux la rechercher.

Quand je devrais metre mes biens en gage,

Men tire pied, me n’oysel et ma cage,

Si je connais qui a fait su deshonneur,

Je ly feray ourdir une autre trame,

Et ly aprendray que dans tant de rigueur

J’ay tout perdu, perdant ma povre femme.


Si je savais où demeure st’engeance,

Cez endiablez, cez organnes d’enfer,

Ainchin qu’Orphée aveucque reverence,

De men linot animant la cadence,

Je m’en irais maintenant la siffler.

Ma povre femme ! O que tu sçais, sais sage ;

Ne laisse aller le cat su le formage,

Que d’Acteon je n’ais point le malheur.

Resiste bien à leur desir infame,

Et rens putost su langage menteur :

J’ay tout perdu, perdant ma povre femme.


Un des vezins escoutant cet outrance

Ly dit chez mots, pensant le consoler :

« Escoute ; il faut que tu ais patience.

Tu as biaucoup de compagnons en France ;

Ch’ez poy de cas d’Acteon esgaler. »

Tu m’importune aveuq tout su langage,

(Che ly dit il) les pleurs su le visage,

Un glaive amer outreperche man cœur,

Man poux frémit et tout man corps se pasme.

Las je peux bien dire aveucque ranqueur :

J’ay tout perdu, perdant ma povre femme.


Où es tu donc, man cœur, me n’espouerance ?

Qu’es qui poura tout man ligneul filer ?

Je meurs o tant de fais qu’à tay je pense ;

Je ne t’ay pas fait chose qui t’offense ;

Qui t’a ainchin causay de t’en aller ?

Tu gouvernais si bien man ptit mesnage,

Tu entendais à me faire un potage,

Et tu duisez si bien à me n’imeur.

Laisse « Laesse ». may seul le biau nom de Guilemme,

Et fais qu’à tort j’esleve ste clameur :

J’ay tout perdu, perdant ma povre femme.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

La XXIII. (sic) partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facecieux en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant les œuvres jovialles qui ont esté presentées cette année aux Palinots, 1647, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 138-141.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique