Ste missive set embarquée au bastel de Boüille
Guillaume Tristan
Éléments contextuels
1648
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
Ste missive
Set embarquée au bastel de Boüille pour estre fiquée ez pattes de ma mere Toinnette
du Trou Perrou.
Au Bocachart
De port neuf deniais mains d’un querolu, par san fieux Gilamme Tristan, estudiant
o Coliayge des Geguistres à Roüen.
Ch’est pour faire response à vote grand papier,
Qui m’a fait du plaisir autant qu’une bourrée ;
Je m’en chauffis les dais ; san « sans ». peu de brazier
Me les desengourdit, car j’avois bien l’onglée.
Je le rechus estant assis en majestay
Sur le throsne doray d’un privay vénérable ;
Il m’y servit oncor pour ma necessitay,
Car j’en mouchis le nais de man cul honorable.
Mais le malhur che fust qu’en farfouillant o trou,
La barbe de man cul s’i colle et s’i attache,
Si bien que de l’anhan j’en eus bien le vezou,
D’autant que j’arrachis chinq peux de sa moustache.
Quand chenla m’arrivit, je ne l’avais point leu,
J’en tiris ossi tost queuque mauvais augure ;
Et, quand je l’eus ouvert, je n’en fus point deceu,
J’usse voulu jamais n’en aver fait lecture.
Ouy, je m’aperchus bien qu’il y avet du malheur,
(Mais je ne songais pas o sien de ma seur Anne)
Car en le retirant y cangit de couleur,
Et, de blanc qu’il estet, il en devint tout ganne.
Quay ste povre abusée a permis au berquier
De ly laisser aller le cat à san frommage.
Ch’est pourquay vo vouliais me faire chavetier,
Veu qu’a l’en avet mis l’oysel dedans la cage.
No l’eut prins pour un niais qui n’eut eu brin d’esprit ;
Checun le baffouët dans le bastel de Boüille ;
Mais il feset ainchin le niais à san profit,
Y gagnant deux jambons pour une simple andoüille.
Mais je sis pu courchay que su quien de musel,
(Quay qu’il ly eut promis) a tournay sa casaque,
Et qu’on le favorise ainchin comme un torel,
Ma seur ayant l’effant comme sen viau la vaque.
Pis que su desgoustay ne veut pas s’y perquer,
Qu’on ly embroque le ventre et qu'on l’envaye au piautre ;
Il faut pourtant tascher au défaut du berquer
Que ste povre brubis fache un belin d’un autre.
Si je sors de Roüen, il cangera de sort,
Car de berquer qu’il est comme agnel je l’embroque ;
Mais comme vo mandez que man ptit quien est mort,
Helas à sen deffaut qui tourneret la broque ?
Il peut bien prier Dieu pour su pauvre deffunt,
Qui ly fait escaper ma presence funeste,
Car je l’eusse achitray comme beite d’emprunt,
Et ly eusse rongnay sa grandeur par la teste.
Hélas no dit bien vray que malheur s’entresuit.
Fallet il que la mort print ma ptite ragache ?
De ste beite a l’era, je cray, bien du profit,
Car a ly servira pour aller à la cache.
Je me ris de vo vair par vote grand papier
Delouser pour la mort d’une ptite pourchelle
Dont vo me prometiez de faire chavetier,
En m’estorant de soye pour coutre la sumelle.
Je ne veux point canger oncore man mestier,
Je sis accoustumay de manier le livre ;
Si je sis estrillay demeurant escholier,
Ch’est du ros qui me fait quasiment demy vivre.
Tant de menu babil vo seret superflus ;
Il faut vo raconter ichite des nouvelles.
Le z’impots sont asteure à Rouen abatus,
Mais au coliayge ils sont hauchez sur les candelles.
A su prepos, ma mere, o prendray je dl’argent ?
Je n’avon pas vingt sous « ving-sous ». dedans nos esquerchelles ;
No m’estrillera bien si je dis au regent
Que man nez li pourret en fournir des pu belles.
Oncor su vieux penart me fait assez souvent
Mettre le masque bas de ma culique face ;
Il veut, je pense, aller, metant la voille au vent,
Prendre l’or du ponant sans sortir de sa classe.
Ouy, sans remission encore devanthier,
Estant courchay d’aver adiray sa besicle,
Pour un mot de latin il me fit desplier
Le bagage merdeux de ma povre bouticle.
« Helas ! mon pere, helas ! que vo m’importunez,
(Ly dis je) l’i a t’il rien que vote cœur souhaitte ?
O qu’il feret bon vair dans man cul vote nez ;
Il seret estoray d’un pere de lunette. »
Estant dedans l’estat de me lancher les coups,
J’en sauvis deux ou trois en laschant une bize,
Qui d’anhan leu donnit de si savoureux gousts
Qu’ils laissirent tumber sur man cul la quemise.
Mais aussite laissant evacuer l’ondeur,
No redouble aussi-tost dessu may l’escarmouche ;
Ils touchoint sur men cul avec tant de fureur
Que vo le z’ussiais dit qu’ils fendoient une souche.
Tout cha n’i feset rien, car, ayant bien du cal,
A nen pu qu’un navet ne saignerent mes fesses ;
Il leu semblet que cha ne me feset point mal,
Car je ne criis point que par pets et par vesses.
Les pets servoint de voix à man povre broudier,
Pour exprimer pourtant queuque petite angoisse ;
Comme un souspir sortoit du culique gosier,
A chaque coup donnay, queuque lugubre vesse.
Mais ayant bien touschay il falut mettre fin,
Et laisser en repos les bras de Briarée ;
Man cul n’en devint point de la couleur du vin ;
Ils n’en purent tirer qu’une liqueur sidrée.
Apres cha, ditte may que je sis bien heureux ;
Venez vair à Roüen quement no si comporte.
Jamais no ne peut vair pais pu malheureux,
Car la race des Juifs n’y est point oncor morte.
Que si vo vo plaignez aver eu des soudars,
J’en avon bien ichite aux faubourgs de la ville ;
J’en ay qui m’ont desja mangay de toutes pars ;
Il en loge su may desteur pu de dix mille.
Ma mere, excusez may si vo ne verrez pas
Chez festes de Noüel vote bon fieux Guillemme ;
Ches gens, ayant viday nos poinsons de fro ras,
Pourroint estout percher men baril de leu lame.
Vote bien aymé fieux et lamentable
Escolier Guillaume Tristan.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
La XXV. partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facecieux, en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant une diversité d’ouvrages sur les affaires du temps, 1648, Rouen, David Ferrand.
David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 179-184.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
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Commentaire linguistique
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