Gogaille o vin et yo pain la disette


David Ferrand

Éléments contextuels

1650

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Les bleds faillirent cette année, et le pain fut fort cher, et s’il n’en fut venu par mer, il y eut eu une grande disette, et il y eut une assez bonne année de vin.

Cant rial « ryal ».

Dieu est tout sainct « saint »., tout puissant et tout sage,

Et sa bonté est sans regle et compas ;

Tout ce qu’il veut s'accomplit icy bas ;

Nous luy devons aussi par droict l’hommage

Que bien souvent nous ne luy rendons pas.

Cette grandeur divine et souveraine

N’a de besoin de la nature humaine ;

Mais l’ayant prise il l’ayme tendrement,

Et la punit quand elle est indiscrette ;

C’est ce qui meut que no fait à present

Gogaille o vin et yo « o ». pain la disette « disete »..


Tu dis bien vray, compere, et d’avantage,

Car si j’avions pain et vin à soulas,

No ne verret que noises et debats,

Le fort eret su le fieble avontage,

Les rats prendrest à la gorge les cats.

Tieulle cherté venuë si soudaine

O pu hupez fait tourner la chantaine ;

Coume « Comme ». le povre, y vivent yeuquartement,

Car leu « les ». fermiers n’ont point fait leu cueillette.

Bien vray qui font pu que nou bien souvent

Gogaille o vin et yo « o ». pain la disette « disete »..


Tous « Tou ». ces gens là reglent « reiglent ». tout leu mesnage,

Leu pain n’est veu qu’à l’heure du repas

Taillé espais ainchin qu’un coutelas,

Et là des gueux no n’entend le ramage,

Criant à l’huys : « N’y a t’y rien de gras ? »

Car la maistresse aveuq sa voix hautaine

Dist : « Y l’est pu de jours que de semaine. »

Apres disner a rafle vistement

Les mieds du pain jisques « jusques ». à la serviette ;

Chela no monstre à faire vairement

Gogaille o vin et yo « o ». pain la disette « disete »..


Si l’eusse esté dans notte tripotage

Comme j’estions à la S. Nicolas,

Que je fripions su su grand Jean les plats,

Je misme bien trois pains dans sen potage ;

No l’y foulet coume guerbe à leu tas.

Il est bien vray que sa sœur Madelaine,

Pour achever d’emplir notte bedaine,

Un de dix merque allit qu’rir « querir ». vittement,

Et de sen pain n’en restit une miette.

Le vin coulet, y là fut fait vrayment

Gogaille o vin et yo pain la disette « disete ». Ces deux vers sont parfois omis..


J’estions bien chinq qui en fisme « firent ». davontage,

Dans ses bastiaux « batiaux ». trinquant à tour de bras

Du vin nouvel tout o prix du froc ras ;

Y fut maqué trois livres de froumage

Et dix grands pains dont no fit poy de cas.

Su pain estet leger coume la leine

Que ses peuguets nomment pain à la Reyne « Reine ». ;

Chela couret pu vitte que le vent,

Su vin nouvel éguchet la luette ;

Ce niomains fut fait finablement « finallement ».

Gogaille o vin et yo pain la disette « disete »..

Envay

Men Prinche, allon d’une course soudaine

Trinquer queu vous, fust che perrochimaine

Ou vin d’Ahy, y ne m’en chaut quement.

J’en dragleray trois coups tout d’une trette « traitte ». ;

Estant queu vou, je feray librement

Gogaille o vin et yo pain la disette.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

La vingt-quatriesme (sic) partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facecieux, en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant les œuvres joviales qui ont esté presentées cette année o Palinots, 1650, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 191-194.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique