Les mouqueux prins pour dupe à la taverne
David Ferrand
Éléments contextuels
1650
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
Cant rial
Vieux roquentins de l’antique fourmette,
Nobles vrelus, acourrez à mouchel ;
Venez ouïr proner une gazette,
Qui bleche en un tout otans que vo z’ette,
Et dont l’etat rechet un coup mortel.
Si vo trouvés ste rime mal plaisante,
Ch’est à regret que ma Muse la chante ;
Mais, comme o sait, bon sang ne peut mentir.
Dans su recit la pitiay me gouverne,
Ne pouvans vair, sans sen mal resentir,
Le mouqueux prins pour dupe à la taverne.
Naudin, un jour, las d’estre à la taquette,
Met bas l’aumuche et prend sen bon mantel,
S’en va chantans la vieille Robinette,
Vers Saint Agnan courir la bouguenette,
Pour à sen saus dragler du vin nouvel.
Comme le goust de su brevage enchante,
Y s’en allet avaller pu que trente,
Sans un malur qui l’en vint divertir.
Dans ste saison, queu male rage querne
D’aller si loüains pour sa say alentir
Le mouqueux prins pour dupe à la taverne ?
Un yeuscadron de digueux de mazette,
Pour trouver giste, arpentant su hamel,
Naudin le veit, o pasage le guette :
« A may, Messieurs, à may, dit-il, arrette,
Venés tater du jus de men vessel. »
La panche avide et la gueule beante,
Y l’entrent tous ; ly, la fache riante,
Le[s] supplia de vouler consentir
Que l’un à l’autre o but à la moderne,
Sans creire en bref que s’en dut repentir
Le mouqueux prins pour dupe à la taverne.
Y ne falut ni coutiaus, ne fourquette
A che frelas pour dauber du musel ;
A main de rien, ayant fait table nette,
Naudin bien louains de remplir sa canette,
N’a pas laisir d’engouler un morsel.
Un d’eux, jettant l’œuil sur une surpente,
Veit sen mantel ; st’ocasion le tente,
Resue aux moyens avant que de partir,
En amusant « amusans ». Naudin de baliverne,
De l’escroquer, sans qu’on put advertir
Le mouqueux prins pour dupe à la taverne.
O mesme instant que sa capture est faite,
Le drille escampe et s’enfit du trouppel ;
Le reste après, deslogeant sans trompette,
Laisse Naudin songer à sa retrette,
Contenter l’hoste et tracher sen mantel.
Y n’est endret, coing, retret qui n’esvente.
Mais quand y veit que sa perte est constante :
« Y l’en eront, dit-il, le dementir :
Je ne veux pas que note corps me berne,
D’aver laissay, l’en pouvant guarantir,
Le mouqueux prins pour dupe à la taverne. »
Envay o prinche
O cher mantel, mantel que je regrette,
Bien pu qu’anten je ne fis sen capel,
Où fodra t’y que le mouqueux se mette ?
Reviendra t’y les mains dans ses pouquette
De S. Agnan jusques à se n’otel ?
En quay ste perte est pour ly pu cuisante,
Ch’est qui n’est pas licite qui s’en vante.
Prince, tu peux su scandale amortir ;
Ne permests pas sans mantel qu’il hyverne ;
Daignes putost tout de neuf revestir
Le mouqueux prins pour dupe à la taverne.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
La vingt-quatriesme (sic) partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facecieux, en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant les œuvres joviales qui ont esté presentées cette année o Palinots, 1650, Rouen, David Ferrand.
David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 196-199.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
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Commentaire linguistique
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