Stances


David Ferrand

Éléments contextuels

1650

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Conference de Messieurs les Querbonniers sur le prix et bonté des vins de la presente année.

Stances

L’esprit embreluqué en une relevée,

Dedans st’estre S. Oüen j’avisis quatre oysiaux ;

Sét qui ne fussent pas d’une mesme couvée,

A les vair y l’estest bien pu drus qu’estourniaux.


Y l’estest bilbarrez, l’un de couleur chendrée,

Et l’autre avet le naiz en cul de pot de fer,

Un autre avet le poil de couleur de vaudrée,

Mais y l’étest tretous nairs en diebles d’enfer.


Je vo depains chela afin que par la ruë

Vo pissiez recognoistre un jour aintieux gallans ;

La renommée en est assez par tout connuë,

Mais je les rends tretous bien beuvans et mangeans.


« Et bien ! se dist l’un d’eux, coume va la pratique ? »

L’autre ly respondit : « Ma foy, bien povrement. »

Le tiers respond : « Je n’ay ennuit recheu la nique. »

Le dernier dit : « Je sis o « au ». mesme rudiment. »


Su grand Denis arrive aveuque sa broüette,

Y criayt sen querbon en pipant le pavey « pavay ». ;

Y l’en avet deux pots du mains dans sa canette ;

Lors je disme tretous : « Vla notte homme gavay. »


« Que faites vous illoq, morbleu, tous mes bons frères ?

Je vais bien que vo n’este « n’estes ». ainchin que may gaillards.

— Jens ! ce ly dismes nou, je pleurons nos miseres ;

N’y en a pas un de nou qui ayt recheu six liards.


De l’argent, mogré bleu, ne vous mettez en peine ;

J’en ay dans mon gousset bien pu qui ne vou faut

Pour de pain et de vin remplir votte bedaine.

Allon o vo voudrez baire tout notte saux.


— Ou es che donc que j’yron pour soufler la rostie ?

— Allons loq pres ses murs queu su petit Noël.

— Nennin, sen vin sent trop le goust de l’iau de vie,

No n’en sret baire un pot sans troubler sen chervel.


« Je busmes avontier, opres de ste Cohuë,

Du vin vieux à trois sous, mais no z’en bret un siau ;

Pis y le faut dragler ainchin que fait la gruë,

Le pied dedans la plume « place »., et l’autre dedans l’iau.


« Je soume mieux plachez queu su Mathieu le Mesle

Qui no le vend chinq souz, ossite ch’ez du bon.

Si j’avon fraid par fais, y no preste sa pesle ;

De vray chequ’un de nou y porte du querbon.


« Su grand Alix y vint qui en eut dans sa canette,

Car la qualeur du feu ly troublit la rezon ;

Y le falut bouter tout saux su sa broüette,

Et le rebrouëtter jisque « jusques ». dans sa maison.


« Quand y fut là dedans, y se mirent à braire :

L’un diset : « Men mary, » les fils : « Men pere est mort. »

Nous qu’estions regaudis, je disions le contraire :

« Ch’est « C’est ». un soulard, morgoy ! veyez-vous pas qui dort ? »


« Le vin est bien pu fort st’an chy qu’au z’autre années,

Y l’eschauffe en buvant l’himeur des gens sanguins.

Les femmes feront bien d’avorter leu goulées,

Si ne veulent aver bien souvent des beguins.


« Su vin est chinq chens fais pu fort que les tortures,

Pis que sans peine y fait dire la verité,

Y fait debagouler mille et milles injures,

Chen qui ne sra jamais et jamais n’a esté.


« Si les femmes estest coume « comme ». alors no les nomme,

Toute la republique iret bien autrement ;

Le Temple de Lays ne seret pu dans Romme,

Y le faudret bastir asteur chy dans Roüen.


« Tous ces mots là ne sont que paroles d’yvrongnes,

Qui ne voudrest aver dite avant leu repas ;

Lendemain leu disant y respondent : « Carongnes,

Pourquoy bait « boit ».-on du vin sans ne s’en sentir pas ? »


« Laisson là su potin, reprenons nos parolles,

Et repalons du vin, et yo pris qu’o le met,

Je veux o prumier pas me rompre les cagnolles

Si je n’en bais cet an, ch’est « c’est ». à dire à souhait.


« Le vin n'est pas crée « crié ». pour autre que pour l’homme ;

Despensant dix douzains j’en beray « eray ». tout men souz,

Et, quand de su querbon y m’en vient une somme,

Le vendant o boissel j’y gaigneray vingt souz.


— Chela est bon pour tay qui ne debite guere

Que du querbon de quesne, oncor sont che corbiaux ;

Pour mey, je ne vens point que du sien de S. Saire « Sain Saire ».,

Et si est che bois rond qui n’a point de corbiaux « quorbiaux »..


« Su George qui les vend loque à la quevalée,

Dont les deux paniers sont maitié plains de genêt,

En es t’y pu hupé à la fin de l’année ?

Je trouve may qui n’est qu’aller le quemin dret.


« Su dieble aveuque nou le pu souvent se vante

Que, quand y va porter ses sommes o grenier,

Y l’endruge tousjours valet, femme ou servante,

Afin qui ne vay’ « voy’ ». point le fond de sen panier.


« Su Martin de Lyons « Lions ». qui tous les jours se saulle

Le tient t’on pas par tout pour un vray triquerel ?

Mais qui garde qu’un iour y n’ayt su se z’espaulle

Le merc qui l’a rongné du haut de sen boissel.


« Su petit foutiquet qui le vend en musique,

Et qui a desja fait bien sept ou huit mestiers,

Y l’étet avontier si plain de jus bachique

Qui s’endormit o long du mur des Cordeliers.


— Me n’amy, n’y en a point qu’ayt milleure chervelle,

Que su fieux grand Colas ; y bret de vin deux siaux.

Mais n’a t’on pas ichy apporté des nouvelle,

Qui l’avet z’u le bouys dans le bois de Priaux ?


— No le dit ; mais que sert tout su vieux potinage ?

Si je devon trinquer, marchons z’y tout soudain.

Allon queu su crochu d’opres su Bailliage ;

J’en parleron d’assis ayant le verre en main. »

Fin

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

La vingt-quatriesme (sic) partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facecieux, en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant les œuvres joviales qui ont esté presentées cette année o Palinots, 1650, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 209-213.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique