Lettre missive de Guillebert Bottru à se n’ante Jocrisse


David Ferrand

Éléments contextuels

1650

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Lettre missive

De Guillebert Bottru à se n’ante Jocrisse, femme de Joran Bottru, se n’oncle, à sen village nommay Esquarquille Guarests, sur l’inondation des eaux, à Rouen.

Port poyay.

A vous me n’ante et me n’oncle Joran,

Vos aprendrez de may queuque nouvelle

De chen qui s’est passey ichitte antan

Qui ne sont point à men paller tro belle.


Ch’est qu’à Rouen il y avet tant d’iaux

Que no z’ut dit que ch’estet un deluge,

Qua no n’allet que dedans des bastiaux

Pour y trouver queuque ptiot de refuge.


La pourmenade estet su chez ramparts

O no veyet toute ces marchandises

Dessu su quay trotter de toute parts,

Tant l’iau estet de collere entreprise.


No z’y veyet dans st’inondation

Tout assiegez les porte de la Ville.

Quacun penset par se n’opinion

Pour s’en sauver estre le plus habile.


A Saint Eloy, jusques à Saint Vinchen,

La Vicontey prez su Pontaritaine,

Ch’est o no fait, comme no dit, hen hen !

Pour l’escurer l’iau prenet chette peine.


Et pu oncor no veyet les maisons

Qui sont oprez de ste Haranguerie,

Que no z’ut dit que ch’estet des prisons,

Quy ressemblet à ste Conciergerie.


L’Estrade oprez de chez bons Cordeliers,

Ch’est o no faict la plache de la Bourse,

Semblet à vair qu’a voulet vollentiers

Sourder ainchin comme une grosse source.


O Cruchifix, juques o bout du Pont,

Drez Saint Estienne a commenchet sa ronde,

Sy bel et bien, fezant su demy ront,

Qu’a fezet pur à la mettyé du monde.


De là passant à la porte du Barc

No la veyet juque dans la Balleyne,

Où nos Soudarts, sans fleuche ny sans arcq,

O[nt] Corps de Garde, et sans biaucoup de peyne.


De là tout du long, à la basse Vieutour,

O no z’ut dit d’un vivier o no pesque,

Ch’est o no veit du pesson quacun jour

Quy n’y a point d’iau, non pu qu’à la Bretesque.


Pus en montant la porte Jean le Cœur,

En anguillant de z’Augustins la ruë,

Chez batteliers qui sont plaint de doucheur

Menest chez gens comme coquesigrüe.


Pus en allant devers ces punaisiers

En amontant ste ruë Nostre Dame,

Guillemme Lyon, o no dit chez gens fiers,

Mais ch’ez le tout, car y n’ont point de blame.


Le Clos Saint Marc, la Quievre, le Ponchel,

Où a gaignit la ruë Martainville,

Chez capeliez tretous en un mouchel

Disest entr’eux : « Adieu, la povre Ville ! »


Le Cors de Garde estet dans su Bras d’or,

On y beuvest du vin à longue alleyne,

Comme j’ay dit, et je le dis oncor,

Ainchin que cheux de la Coste Ballaine.


En revenant par driere chez murs,

Tout estet plain juqu’au Faubourg de Diepe.

En d’autre endrez, que no m’a dit obscurs,

(Ch’ez pour rimer) no fait frelin freleppe.


Mais je ne sçay, qua j’estez tout confus

Quand a gaiguet toursjous de porte en porte ;

Ch’estet bien pus, quand no veyet su flus

Se desqueller d’une pissante sorte.


Pu no veyet des planques de travers

De su rampart plaquez su la fenestre,

O no z’entret ainchin qu’o z’uis ouverts ;

Voyez un ptiot comme chela pouvet estre.


Ch’estet pitié de vair chez povres gens ;

L’un par bastel, le z’autre su des planques

Allest ainchin, o les pu diligens

Se fournissest de tout chen quy leu manque.


Dans un bastel passant o pres les Vacque

O autrefais j’ay beu de leu bon lait,

J’y ay veu là de bons menteux quy craque,

Mais toute fais che n’est que de bon hait.


Le Pot de Fer, le ptiot Castel Gaillard,

Le nair Sauvage et la Grand Asseuranche,

Là où je beus dans su bastel si tard

Que j’en avez tout men saux dans la panche.


Enfin vela, me n’ante, men progrez ;

Ch’est o j’ay fait le cours de me z’etude,

Ch’est o j’allez estudier tout yeuxprez,

Car o Colliege o m’estet un ptiot rude.


Et sy vo plaist, requemandez may bien

A su Joran, me n’oncle, et men ptit frere ;

Mais que j’ais eu de l’argen de men bien,

J’irai queu vou en faire bone chere.


A men cousin Bernufle et Allison,

A tout les deux faite z’en tout de mesme,

Et ditte leu qu’a m’enveye de l’ognon

Pour en manger queuque fais su quoresme.


Vela donq tout chen que je te peux mander

De su Rouen, je n’en sçay davantage,

En priant Dieu qui no pisse amender ;

Pour chennela y faut prendre courage.

Fin

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

La vingt-quatriesme (sic) partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facecieux, en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant les œuvres joviales qui ont esté presentées cette année o Palinots, 1650, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. III, 1892, Rouen, Espérance Cagniard, p. 213-217.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique