Le récappé de la guerre à Perrette


David Ferrand

Éléments contextuels

1628

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

L’Autheur, sous la description d’un soldat sauvvé de la Rochelle en 1628, dépeint la calamité des habitans d’icelle, et leur grande rebellion que de tout temps ils avoyent conçeuë contre la France.

Cant ryal

Estant un jour de féte solemnelle,

Comme j’avais queu may mes bons z’amis,

Vechy venir Bertaut, fils de Noüelle,

Qui sans barquin ny faire d’ativelle

S’en vint heurter d’un baston à me n’vis.

Je dechens bas, et may quan je l’avise

Sans sen mantel, sans souliers, sans quemise,

Et que ses brais étest faite en cheigneux,

Je fus pu fret qu’un vendeux d’allumette,

Et comme may demeura bien honteux

Le récappé de la guerre à Perrette.


Sen ventre estet plat comme une esquerchelle,

Ses flancs étest rechuchez et gregis,

Et de se z’os « Et de ses zos ». secs ainchin qu’une attelle

No z’ut bien fait une gran tartevelle

Pour s’en servir tous les saincts vendredis.

Sa fache étet maigre, jaunastre et bise ;

La fain ly avet la machoëre demise,

Où claquetest jisqu’o « jusqu’o ». fin fond du creux

Ses dents, ainchin qu’un clavier d’espinette.

Vla comme étet have, pasle et hideux

Le récappé de la guerre à Perrette.


Je fis monter en haut ste haridelle,

Pis ayant bu, à l’heure je m’enquis

D’où y venet : « Je vien de la Rochelle ;

Rochelle, non ; il faut que je l’appelle

Durant ce siege un enfer plein de cris.

Quand la famine une fais s’y fut mise,

Checun « Chequn ». devint sec comme un « comm’un ». vent de bise ;

Faute de pain mourest jeunes et vieux.

J’y mangis tout, jisques « jusques ». à ma malette,

Et m’esbahis que ne mourut comm’eux

Le récappé de la guerre « gucrre ». à Perrette.


« Lors que j’estais o vent en sentinelle,

Y m’abatet à tout coups su les gris.

J’eusse fort bien enfilé la venelle,

Mais je craignais d’avair la chanterelle

Qu’eure « Qu’eurent ». à leu cos ceux qui s’estest enfis.

Et pis la mere à Rohan et Soubize

No sermonnet que, mourant pour l’Église,

Ch’estet voler comme un oysel o cieux.

May l’escoutant je baillais de souffrette,

Et souhaittais opres des Chastrieux

Le récappé de la guerre à Perrette.


« Dans leu conseil che n’étet que querelle :

L’un maudisset ceux qui contre les Lys

Se revoltest ; l’autre pu « plus ». infidelle,

Porté d’amour à ste vieille puchelle,

La souhettet princhesse « Princesse ». de l’Aunis.

Mais trop encré su chela je devise ;

Disnon, Drien, pis que la nappe est mise.

Pis, allegé de men mal souffreteux,

Vo z’apprendrez tou d’une mesme trette

Comme est venu si povre et si hesqueux

Le récappé de la guerre à Perrette.


Envay

Grand Prince et Duc, qui fustes à la prise

De cette ville à notte Roy conquise,

Excusez may « mœy ». si ce vers rabboteux

N’est point dreché en langue pu parfette.

Ainchin palet tremblant et marmiteux

Le récappé de la guerre à Perrette.

D. F. Signature parfois absente.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

Quatriesme partie de la Muse normande ou Recueil de plusieurs ouvrages Facecieux, en langue Purinique, ou gros Normand. Recueillis de divers Autheurs, 1628, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. I, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 81-84.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

« Perrette » est un surnom de la ville de La Rochelle, ville protestante, qui fut assiégée et prise. Les Protestants financèrent la défense de la ville au moyen d’une souscription qui fut nommée la « Boîte à Perrette ». Plus tard, cette expression fut reprise par les Jansénistes.

Commentaire linguistique