Missive de Meline Penifle


P. M.

Éléments contextuels

1628

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Missive de Meline Penifle à sen fieux, sen fieux Flippin Pantoufle, apprentif tissotier demeurant à ste rue o Marchands, près la cour des Corets.

De port un calolu.

Flippin, men povre fieux que chent et chent fais j’ayme

Pu que ta seur Alix ne va aymant le let,

Et que note vaquier ne frit apres la craime,

Su morcel de papier te dierra men segret.


Ch’est que ten pere et may, qui avon otant d’âge

Que chu grand quesne creux qu’est prez de note four,

Te prion de venir pour estre o mariage

De ta seur qu’o marie aprez le prechain iour.


Chy tu ne cognez point le garchon qui l’epouse,

Ch’est Cardinot Baril qui ayme tant les poix,

Yeuxtraict de Guillaumet et Typhagne Velouze

Le milleur carurier qui set dans le Roumois.


Mais en venant ichy, Flippin, ne nous aniche

Su humeux de brouet, le fis du gros Isac.

Tu sçais bien que che n’est qu’un fesseux de flamiche ;

O du mains, si l’y vient, qui l’y vienne sans sac.


Lors que tu no vins vair à la Toussaint derraine,

Y l’allit deffrocquer tou no z’eufs o pouliez

Et print le grand coustel dont Bine ta marraine

Le samedy o sair decrottet noz souliez.


No donnon à ta seur note telle d’estouppe,

Pour fere des quemise à sen bel affidé,

Et un clozet de choux por fere de la souppe ;

Ch’est pu qu’en mariage y n’a pas demandé.


Y l’est vray que, n’estant de me n’ymeur trop chiche,

Je ly promis un viau qui vint o Rouuezons,

Quattre livres de canvre, et notte grosse cliche

Qui accouche a tou coups de vingte chinq cochons.


Vla la fachon, men fieux, por leu mesnage escrestre.

Ossi che proculant sans brit dans leu otel,

Y l’en eront otant que Gribaut note maistre

Qui est le pu huppé de tout note hamel.


No t’a fet un n’abit de telle violette,

Qu’est par tout balaffré comme un falot des Rois,

O se vait bas et haut de belle z’eguillette

Qui te feront moder comme un fils de bourgeois.


Mais por su coup ichy contre nou ne t’engaigne,

Si je ne t’avon point fet fere un biau mantel ;

Tay mesme tu sçay bien qu’il est trop ptiot de gagne,

Et qui faut de l’argent pr faire du tourtel.


Toutes fais, si t’en faut por aver bonne grace,

Monsieur notte Curé congnet un ecolier

Qui va de grand matin etudier en classe ;

Y no bara le sien, si no le va prier.


Tu ne vodrets aller, tes mains dans tes poquettes,

Parmy tes biaux paignons qui te vont congnessant,

Car tu serets basty coume chets marionnettes,

Ou chets grand allezans qui vont les bras croisant.


Ossi, mais que j’yons vendu nos chendres de feugieres,

Tu en eras un de gris fachonné à profit

Que tu estreneras le jour de z’erivieres,

Pour te carrer ainla qu’un chabrenaut sans cuit.


J’ussions bien acheté, à ste faire derraine,

Queuque poinson de vin pour no tocquer tretous,

Mais je n’en eron point qu’à la faire prechaine,

Car le vin st’anné chy fet engendrer les poux.


Mais o lieu de su vin qui le sens estravague,

J’avon fet du resquage un sidre bien espais

Qui les fera tretou dorer leu belle brague

Et sans christere aller derriere note hais.


J’eron chinq gros coppins et chinq autre volaille ;

Mais o lieu de manger je riron coume fols,

Car, cessant à beffler por mieux fere ripaille,

J’assecron tou d’un tret les cannes et les pots.


Pis, lors que j’en eron deux daiz dans la chervelle,

Des canchons de su temps checun dierra deux mots :

Vere comme le Roy entrit dans la Rochelle

Mogré chets remuants et ches lasches Gogots.


Ten paignon Bertelot, fieux de la grand Collette,

Qui no chante o lieutrain « au lieutrain »., ramage des canchons

Qui font cheux qu’on cueilly por la povre Perrette

D’engagne et de despit pondre à leu callechons.


Vien donc et n’oubly point su grand mangeux de matte,

Qui se dit un Viergile et n’est rien qu’un buzard.

Y no z’edera bien à triboüiller des tarte ;

Mais non, lesse lay la ; il beffle trop de lard.


Entraine ossi ten mestre et venant ne t’amuse ;

Car de venir sans ly ichy te recrier,

Y ne te monstreret se n’estat que par ruse,

Et ne serets jamais qu’un asne à ten mestier.

P. M.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

Quatriesme partie de la Muse normande ou Recueil de plusieurs ouvrages Facecieux, en langue Purinique, ou gros Normand. Recueillis de divers Autheurs, 1628, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. I, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 100-104.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique