Les vignerons povres par l’abondanche
David Ferrand
Éléments contextuels
1629
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
Les Vignerons se complaignent en une année où il est abondance de vins, à cause du
nombre des subsides qu’ils payent, et n’ont presque rien de leur vin estant à Roüen
pour leur nourrir le reste de l’année.
VI Indication parfois manquante.. Cant Ryal « ryal ».
Comme à biau pié je venais de m’ébatre
De ches condos qui sont pres de Vernon,
Je vis Tassin pu blanc « blan ». que n’est du plastre,
Qui se plaignet de la mesme fachon
Aveu Colas comme ly vigneron :
« Quay, fezet-t’y, faut y « ti fau ty ». que notte vie
J’uzions ainchin en peine et facherie
A redrecher su petit bois vineux,
Qui en tout temps, sans pite et sans pitanche,
Fet à « Fer a ». checun vair ainchin que des gueux
Les vignerons povres par l’abondanche ?
« Les laboureux, coume cheux d’entour Chatre,
Sont des Mousieux prés nou dans leu maison.
Vo les « Vo leu ». vaiez en hyver « hiver ». prés leu z’astre,
En morfiant le levrault et l’oizon,
Aver « Aveu ». du feu à rostir un cochon.
Y sont des rois dedans leu meterie ;
Et nou chetifs, pleins « plains ». de melencolie,
Cuits o souleil, loquetés et hecqueux,
No n’avon pas dont fourrer note panche ;
Et ch’ets squi « chets qui ». fet que no vait marmiteux
Les vignerons povres par l’abondanche.
« Pis, che qui pu accret note desastre,
Ch’ets que st’ecu qui se pois pour poinson
Ne che verra jamais, je cray, abbatre « abbatttre ».,
Chy su bon Roy, st’Auguste de Bourbon
Ne le permet aveuq « aveuc ». commission.
Et quand j’estets aveu ta compagnie
Dan su Roüan, vi tu pas, je te prie,
Chets querpentiés suant d’enhan entr’eux
A faire un pont de bastiaux et de planche,
Por en tout temps rendre calamiteux « calamitteux ».
Les vignerons povres par l’abondanche.
« Chy tu as veu ma fame che courbatre « courbattre ».,
Men cher vesin, che « ce ». n’est pas sans raison,
Car j’avets fet environ trois o quatre
Poinsons « Poisons ». de vin, qui a cheux de Tournon
Pouvets du mains de faire comparaison.
Et toutesfais, dont j’ay l’ame faillie,
Men vin vendu, ma vandange cueillie,
Y m’est por tout resté un franc ou deux.
Est che por vivre et se couvrir les hanche ?
Nenny ; ossi seront toujou entre eux
Les vignerons povres par l’abondanche.
« Je ne veux pu à foüir me debattre.
Adieu penniers, serpette et serpillon !
Je veux aller dedans ma vigne abattre
Les eschallats, et aveuc « avec ». un ognon
En fricasser des courez « courrez ». de monton.
Adieu poinsons, cuve, entonneux et lye !
Vo pouvez bien reprendre l’iau boüillie,
O bien st’yver, que le temps est geleux,
Aller gauller « Aller tailler ». le vin de haute branche,
Pis que le vin fait vair necessiteux
Les vignerons povres par l’abondanche.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
Cinquiesme partie de la Muse normande ou Recueil de plusieurs ouvrages Facecieux, en langue Purinique, ou gros Normand. Recueillis de divers Autheurs, 1629, Rouen, David Ferrand.
David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. I, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 123-125.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
L’augmentation des impôts prélevés sur le vin est le sujet de ce poème, car elle entraîna l’appauvrissement des vignerons et fut l’une des causes de la disparition de la vigne en Normandie.
Commentaire linguistique
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