Adieu, Tayault, pis que l’année est chere


David Ferrand

Éléments contextuels

1630

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

En cette année il y eut grande disette de bleds, et l’Autheur en fait la description souz la complainte d’un nommé Jean Tayaut, gueu public.

Complataintibus qu’on vient d’écrire

Super vita de su Tayaut

Quid dicere ? quand le pain faut,

Qu’o n’a pas trop subjet de rire.

Cant ryal

Depis le temps que j’ay veu la hemée

Des povres gens dont no fait poy de cas,

Courir o pain qu’est pu mos que badrée,

Et, qui pirs est, entendre la pipée

Des boulengers disant : « Y n’y en a pas : »

Que tout ainchin que si l’estet disette,

May mesme j’ay couru la bouguenette

A leu z’estats, me n’argent à la main,

Pour en aver fezant mainte priere,

J’ay arresté de dire à men refrain :

Adieu, Tayault, pis que l’année est chere.


La quemune est de sen faiz trop chergée ;

No z’en palit avontier o z’Etats.

Ossi que dit ma vezine Renée :

Ceux qui souvent le long de la journée

Gaignent l’avaine, y « ils ». ne la maquent pas.

La povreté est ladre, o la deiette ;

Pis checun veut partir à la galette ;

No sçait assez qui en fait le levain.

Mais de chela je ne m’en soucy guere.

J’ay pu de deuil de chanter sans lieutrain :

Adieu, Tayault, pis que l’année est chere.


Si no z’avet bien ouy ma ratelée,

(Palant du bled), ces Flamans de là bas

N’en erest « Nerest ». pas z’u une batelée ;

No le z’eret et eux et leu quellée

Bien renvayez fere la cache o rats.

Et ses blatiez, ces coureux de mazette,

N’en erest tant acheté en cachette.

Je ne dis mot ; le riche court o gain,

Et le povre est contraint en sa misere,

Ainchin que may, de crier en sa faim :

Adieu, Tayault, pis que l’année est chere.


Avant qu’o vit ste méchante menée,

No me vayet tousjours un musel gras,

Car tout checun me donnet la lifrée.

Je rapportais par fais à la serée

Tout rasibut men capel de goumas.

Ma povre mere avet mainte cueillette

Qu’a l’epluquet o miez de sa pouquette.

Mais asteur’chy que le monde est vilain,

Je ne sis pu le tretot à ma mere ;

A me decache et me dit par desdain :

Adieu, Tayault, pis que l’année est chere.


Chen qui me fache oncor pu que l’année,

Ch’ets qu’apres may crient ces chabrenas :

« Tayault, houlier, avaleur de courée,

Ne donnez rien à st’ame là « st’ame ». damnée ;

Su « Se ». caleux est fort et redde de bras. »

Y n’est carfour ny petite rulette

Qu’on ne m’entinche et donne la venette.

Ces couturiers m’appellent grand gouain,

Criant : « Y faut l’envoyer en galere. »

Chela m’affolle, et le fait crier d’engain :

Adieu, Tayault, pis que l’année est chere.


Envay

Prinche, je veux trucher a ste vesprée

Pis que men prix ne sent qu’un bon repas.

Allons « Allon ». nous z’en, six heures sont sonnées.

J’enten ossi ceux de vostre assemblée ;

Je veux ennuit aller fripper les plats.

Excusez may, si j’ay dit ces sornette :

Ch’est « Chet ». qu’ojourdy je sis à mes goguette.

Je voudrais bien que tout « touc ». allit sen train.

Mais quitton tout ; ne palon que de chere ;

Allon queu vous ; je ne diray pu grain :

Adieu, Tayault, pis que l’année est chere.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

Sixiesme partie de la Muse normande ou Recueil de plusieurs ouvrages Facecieux, en langue Purnique, ou gros Normand. Recueillis de divers autheurs, 1630, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. I, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 141-144.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique