Des Grip-nodins la diantre de hemée
David Ferrand
Éléments contextuels
1630
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
Les Anglais deschargeoient un vaisseau remply de toutes sortes de draps d’Angleterre,
et ja deux grandes balles estoient pour estre visitées devant la Romaine, quand mille
ou douze cens purins et drapiers vindrent sur le quay, bruslent les deux balles entierement,
prennent des petites barques, entrent dans le vaisseau, rompent et deschirent les
draps qu’ils trouverent par lambiaux, et jettent le tout à la riviere, sans qu’on
y peut apporter aucun ordre.
L’Autheur y estant present en fit ces vers suivans.
Double cant rial
sur le grabuge des drapiers
Comme j’alets pu vitte que le pas
A su ptit pré, la o Chalot écorche,
Por « Pour ». men paquet prontement mettre bas,
Je rencontris un grand peuple en amas
Qui s’en allet le chemin de la « ste la ». Croche.
J’en amuse un, et ly dis : « O Gautier !
O vont chets gens du bourg Dernetalier ?
Vont t’y tretou frulufez à l’ermée ?
— Nenny, (dit-il) ; y vont dessu ces quais
Por faire vais o z’insolents Englais
Des Grip-nodins « Gourgouillaux ». la diantre de hemée. »
Lors je les sieux aveu men capel gras,
N’ayant cauché o pieds que des galoches,
Car je vouletz entr’ouyr les debats
De chetz mutins courans coume soudats « soudars ».
Font « Tout ». par les camps, o que grands leux qui broche.
Leu fame ossi, ayant le queur entier
Et leu « leur ». efans jerquez su leu gosier,
Sieuvest oncor ste stulmutte enfamée.
Bref, no z’eust dict « dit ». que ch’etet lansquenais,
Les vayant faire aveu leu gras bonnais
Des Grip-nodins « Gourgouillaux ». la diantre de hemée.
Y vont tretou paler « parler ». o magistratz,
A chets Englais donnant des malleboche,
Disant qu’ichi y l’apportetz des draps
Qui les fezets en leu povres z’estats
Mourir de fain opres de la brioche.
Note Senat de tout temps justicier
Promit garder les drets de leu metier ;
Mais de fierté ayant l’ame envlimée,
Chetz avalleux d’ensenciere et de fais « faix ».
No fire vais par leu modits effais
Des Grip-nodins « Gourgouillaux ». la diantre de hemée.
Fermez en gros ainchin qu’un camp de rats,
Du quay « Cay ». o bois y l’ont fet leu z’approche,
La o estet des cresiaux en un tas
Dans z’un vessel englais qui n’oset pas
Hurquer o port redoutant queuque accroche.
Lors, checun d’eux, sans che fere prier,
Ont de bastiaux, mogré maint bastelier,
En un clin d’œil ste navire enfremée,
Coume autre fais y no fire Calais,
Quand y fezets dedans le vieux Palais
Des Grip-nodins « Gourgouillaux ». la diantre de hemée.
Chets diantres là, comme des Gouliats,
Prenants chets draps aveu leu z’ongle croche,
Les deschirest ainchin « einchin ». que canevas,
Et les mettets « Les mettest là ». par bandes en degats,
Pur d’en aver, les grippant, du reproche.
Les gobitant « Les habitants ». ainchin que du papier,
Vn seul cresel ne demeurit entier,
Et chez « ches ». Gogots ayant l’ame espaumée
Ne disets mot nen pu que Simonnets « Simmonnais ».,
A leu despens vayant trop engagnais
Des Grip-nodins « Gourgouillaux ». la diantre de hemée.
Or, en apres aver fet chu tracas,
Le pu hupay, qu’o z’apellet Mardoche,
Fit allumer « alumer ». un feu par chets goiats
Près ste Romaine « Pres ste meson »., où ballots et cabats
Sont balanchez o banquet qu’on z’acroche « qu’o n’acroche »..
Ma fay, ch’etet à qui courret prumier ;
L’un apportet des chouquets de poumier,
L’autre un fagot o bourrée allumee
Pour grediller tou les petits gobais
De chets cresiaux qu’en fureur avets fais
Des Grip-nodins « Gourgouillaux ». la diantre de hemée.
Queuques grimauts, ne creignants le trespas,
En brinballant, o rechever talloche,
Avest lié ces bandes autour des bras,
Mais ches tyrans les culbutants en bas
Leu firent bien rendre ches hannicroche.
D’otre en avest en fachon de gartier ;
Mais tout passit dedans su grand brazier,
Rien n’y restit que la chendre sumée,
Et les gruriaux, chavetiers et laquais,
Mogré leu dents, virent sans nul aquais
Des Grip-nodins « Gourgouillaux », « grig-nodins ». la diantre de hemée.
D’otres ossi, pensant faire leu cas,
En avest prins sans le merquer à l’oche,
Et biardant vers la Boüille là bas
Dans des bastiaux furent surprins o las,
Et mis soudain dans la ratiere à forche.
Por ches mutins qui no z’ont fait troubler,
No le z’eut fait avant l’er brinbaler ;
Mais la Jutice en chela offencée ;
Prenant pitié de leu z’enfans povrez,
Usit « Usa ». de grace, et fit cesser aprez
Des Grip-nodins « Gourgouillaux ». la diantre de hemée.
Geruais, Cardin, Gringoret et Colas
De grand frieur gagnirent la vetoche,
Vayant fremer à clais et cadenats
Toute les porte, et n’aver gens a flas
Pour avaler leur vin cleret en broche.
« Chets ristres chy, diset le gros « gro ». Roger,
No veulent t’y dans Roüen assieger ? »
Ouy, les bourgais en n’ont l’ame allermée,
Craignant de vair oncor Grimpe su l’ais.
Mais adouchis no n’a veu toutesfais
Des Grip-nodins « Gourgouillaux ». la diantre de hemée.
Maints guerrieux (à s’en crerre à Toumas)
Ermez de fer ossi du qu’une roche
Volets aller sezir ces Fierabras,
Mais no leu dit : « Repiquez vo da das ;
Vo porriez « pouriez ». bien aver su la caboche. »
Les Herqbusiers n’estets en tieu danger,
Car la Roumaine « Romaine ». o les fezet garder ;
Pis, s’escapant par fais de la meslée,
O Queval blanc quatre à quatre y l’allais
Por ne vais pu, avallant le vin frais,
Des Grip-nodins « Gourgouillaux ». la diantre de hemée.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
Sixiesme partie de la Muse normande ou Recueil de plusieurs ouvrages Facecieux, en langue Purnique, ou gros Normand. Recueillis de divers autheurs, 1630, Rouen, David Ferrand.
David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. I, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 153-157.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
Ce poème se rapporte à des événements survenus le 16 juillet 1630. Il eut alors une émeute des drapiers de Rouen et de Darnétal, contre les navires anglais venant débarquer des draps à bas coût. Si les drapiers détruisirent les draps contenus par l’un de ces bateaux, ils ne touchèrent cependant pas aux autres marchandises.
Commentaire linguistique
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