Faute de fuz les pommes en dommage


David Ferrand

Éléments contextuels

1631

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Cant rial

Comme j’alets dedans ma meterie,

Je rencontris deux povres laboureux

Pu blancs que feurre, ou que foure de pie,

Du bout du nez degoustant la rouppie,

Qui s’arrachests d’engagne les queveux.

« Quay ! ce fezait Colas à Tiophile,

J’ay tournié tout le tour de la ville

Sans rencontrer des muits por de l’argent.

Et toutes fais, perdant tou men fritage,

Je sis forché de dire tristement

Faute de fuz les pommes en dommage.


« Ouy, la fustaille est beaucoup encherie,

Et cependant les tondeliers fougueux,

Ne no vayant la bourse assez hardie

Por les poyer selon leu fantazie,

Devant leur z’vis no appellent des gueux.

Faute de futz, ocun de nous ne pille,

Et les cochons d’Alix et du grand Gille

Ne veulent point macquer tant seullement « seullem’ ».

De leu grouins, dont de despit j’enrage,

Vayant ainchin si doloreusement

Faute de fuz les pommes en dommage.


« Y n’y a coing, cave ny escurie

D’o no n’ait prins tou les poinsons pu vieux,

Ayant le cul et les douves pourrie,

Encor qui fusse illa en itargie

Du depis l’an chinq chents quatre vingts deux.

Tieux qui en avets dans leu greniers en pille,

Comme fagots, ou huches innutille,

Y ont gaigné quasi deux chents por chent.

Ch’est che qui fait que je perds tou courage,

Vayant ainchin cheu may si povrement

Faute de fuz les pommes en dommage.


— Tout est perdu ; ditte may, je vous prie,

Fit Thiophile, achetez z’en de neufx

Et les emplez de bon sidre sans lie ;

No les mettra o prix de l’yau bouillie,

Tant les bourgeois sont fiers et dedaigneux.

Py che qu’oncor est le peu dificile

Vo ne seriez entrer par Martainville,

Par Saint Hilaire ou autre aclairement

Qu’o ne demande por barrage peage.

Ch’est che qui fait vair miserablement

Faute de fuz les pommes « pomme ». en dommage.


« Men fieux Colas, che n’est que piperie ;

Ne porton point no pommes au prinseux.

Aga ! putost inventon l’industrie

De les porter o gens de drapperie

Dedans Rouen, dessus une asne ou deux.

Quand je n’eron en portant croix ne pille,

J’eron bien tost à su Plat de la bille,

Car le fritage o n’y vend bravement.

Cray may, Colas, ch’est por te n’avantage,

O tu verras, manquant de jugement,

Faute de fuz les pommes en dommage.


« Ce no seret une grand moquerie

D’aller pojer por des poinsons ou queux

Quatorze francs ; pis, par bos et par plie

Les ramenants de grande équilbourdie,

En rechever mains qui nous couste creux.

Sy je fay cha, je veux que no m’estrille ;

Laisson la tou : l’année est innutile.

Batton putost notte bled « blep ». promtement ;

No n’y a point tant de peine et coulage,

Et n’y verron « verront ». si desastreusement

Faute de fuz les pommes en dommage.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

Septiesme partie de la Muse normande, ou Recueil de plusieurs ouvrages Facecieux en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant les œuvres jovialles qui ont esté presentées cette année aux Palinots, 1631, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 11-14.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique