Lettre missive
David Ferrand
Éléments contextuels
1631
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
Lettre missive
Enviée par Guiot le Ferme, marchand de vacques, demeurant en decha de Quatre-Mare,
su les lisieres de Sotteville, illoque prez, hors su Pont, adrechée o pu insignes
assommeux de cochons des 4. grands boucheries de ste Ville,
su la Fortuna arriuando, in camarada.
Le queresme passé qui n’est pu temps de féte
Et qu’l’on ne boutte pu de chair cuire o naviaux,
Quatre bouchers tou ronds, ayant basté leu bete,
Allirent hors su pont por la cherger de viaux.
Y furent cheu Jacquet et la grosse Pacquette,
Car ch’etet por tuer en un temps deffendu,
Por debiter à ceux de la ptite cloquette
Qui en « Qu’en ». avale otant que de beure fondu.
O les fieux de Jacquet qui sçavets leu maliche
Leu dirent : « Me z’efans, j’avon bien votte cas,
Car j’avon quattre « quartre ». viaux ossi grands que geniche « Genibe ». ;
Mais sans baire aveu vou « voue ». nous ne les vendron pas.
— Bien donc, che firent t’y, allon su Gueulle naire
Il en a un poinson tou de nouvel perché.
Pis, lors que j’eron beu neuf o dix pots de baire,
No feron à lesir des quatre viaux marché. »
Y che table tou six et font mettre à la broque
Vn cochon de trois mais ossi gros qu’un pourchel,
Et se gavent si bien qu’on dit, par nostre docque,
Que checun en avet trois pots dans le chervel.
Buvant ainchin que trous et bauffrant en levrettes
Qui ont caché trois jours o travers des bissons,
Ne vayant su le banc que la nappe et les miettes,
Y font marché des viaux ossi tendre qu’asnons.
Y leu poyent vingt livres et neuf francs de despence
Por le vin du marché ; mais l’un des deux marchands
Dit : « Baillez may vos sacs ; je feray diligence
D’aller à la maison por les mettre dedans. »
Y le lessent aller, car ch’etet leu z’envie « s’envie ».
De tromper chets bediaux qui, contre le z’edits,
Vende souz le mantel ossi bien de la crie
Le vigile des Saincts qu’o lundis et mardis.
O comme à baire sec ocun d’eux ne rebouque,
Y relavent oncor à qui mieux leu boudins.
Cependant Cardinot mit dans leu quatre pouque,
O lieu de quatre viaux, quatre pissant mastins.
Il estet desja sair quand chetz gens de trinballe
Quitirent le piot de pur d’estre enfermez,
Et venant su Jacquet trouvirent leu quenaille,
Avec deux grands penniez de quatre quiens chergez.
Y ne s’informe point qu’estet dedans leu pouque,
Car y l’estets de vin si gavez et gadrus
Qui l’eusse pris alors un rat pour une mouque
Et des culs de grugeux pour de biaux cardescus.
Quand y fure arrivez assez prez de Massacre
Y dirent à Grands Corps sans beaucoup discourir :
« No vla tretous pu saulx que ne sont pas des sacre ;
Porte no viaux su tay, je les envayron qrir. »
Grand Corps dont arrivé tou contre de sa porte
Crie : « Ola, mes valets ! venez tost à mes viaux !
Hé ! que targez vou tant ? le diantre vous emporte !
Vo me ferez gaigner la gru su les carriaux. »
Les valets viennent tost et trainent à l’estable
Chets pouques o estets chets grands quiens tou pelez,
Qui fesets pu de brit qu’un tonnerre effryable,
O que quatre grands leux de huict jours enfamez.
Che vayant desliez, y ce jettent o cauche
De chets povres valets, pu fougueux que toriaux.
« Hé quay ! ce fesets y, regardon no de gauche,
O bien sy no prenon des mastins por des viaux ? »
Le mestre, oyant su brit, s’en vint à quatre pattes
Jurant : « Par la mort goy, blistres, poltrons, vauriens !
Pensez vo que mes viaux sets des trippes de gattes ?
— Hé quay ! che dirent t’y, ce ne sont que des quiens.
— Coument, des quiens ? sanbleu ! me donnez vo su blasme ?
Je le z’ay por des viaux en grand frets achetez. »
Mais, pendant su cabut, vechy venir sa fame
Qui vit que che n’estet que des matins tousez.
« O le brave solard ! o l’yvrongne ! fit elle ;
Vramen, ch’est bien à tay d’aller chercher des viaux.
Va pu tost, chavetier, broquer une sumelle
O bien cueillir les bos qui sont à chets reniaux. »
Les autres arrivez dessu z’eux, sans attendre,
Afin d’aver leu part, envayent leu vallets ;
Mais, vayant chets matins, y n’en voulure prendre,
Disant qu’o n’achetet de la cher de barbets.
Y dit qu’o les z’avet trompez à boule veuë
Et qu’o n’avet chets quiens o lieu de viaux chergez.
Mais il y dire alors que chetet une fuë,
Et qu’il avet tout seul les viaux en quiens changez.
Le corps fut ensemblé o quatre boucherie
Avant que de plaider dessu su different.
Mais Grand-Corps, le boucher, craignant la mocquerie
Poyt oncore à baire et leu rendit l’argent.
Chavetiers de la bas qui oyez me n’istoire,
N’en faite, je vo prie, en souppant vo desserts,
Car il y a su vou pu à redire oncore
Qui n’y a mille fais su les povres bouchers.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
Septiesme partie de la Muse normande, ou Recueil de plusieurs ouvrages Facecieux en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant les œuvres jovialles qui ont esté presentées cette année aux Palinots, 1631, Rouen, David Ferrand.
David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 17-21.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
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Commentaire linguistique
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