Stanches


P. M.

Éléments contextuels

1635

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

La presente set donnée à men pere Olivier le Blecq, demeurant dans ste ruë prez la Cour des Coretz, sur les z’infortunes de men viage de Sainct-Morisse.

De port une grisette.

[Stanches]

Men pere, du depis que je quittis la ville,

Je montis par Cauchaise un bien grand grimperel,

Pis passant le Tronquay, je fus à Bondeville,

O je me laissis quaiz dedans un grand putel.


J’avetz tou le muzel, les pattes et la trongne

Chy couvertes de boz, de crotte et de saffran,

Qu’o m’eust prins, me vayant, tout aintel qu’un yvrongne,

O cheux la que no dit malades de saint Jan.


Niantmains, quand je fus dedans note village,

Note fremier me fit de feu un grand radier,

O no z’eust bien rosty un gros beuf haut et large,

O un cochon pu grand que n’est notte lardier.


Tassine prend mes brests et les lave à la mare ;

L’un ratte men parpoint aveucq un grand coutel,

Ce pendant qu’o me bat du beurre dans la bare

Et qu’on cauffe le four por cuire du tourtel.


No mit dedans le pot un morcel de troüye,

Mais y rencontret mal avec mes accidents,

Ne pouvant à soupper bauffrer que de la mie,

Car lors que je tumbis je me rompis les dents.


Je m’ettez mesmement tout escorché les pattes,

Mais je ne m’en sentils lors que j’eus avallé

Huict poumes de gros œil, six escuelles de mattes,

Au lieu de ne pouver estrillé le sallé.


O m’en allant coucher aprez cheste grand chere,

Je ne sçay chy j’avetz trop bu de sidre doux,

Mais quatre fais la nuict, sans prendre de cristere,

Y fallut à qua qua aller par quatre coups.


J’avetz ossy muché dedans ma hangreline

Un loppin de tourtel que je vouletz garder ;

Mais les rats, les souris et mille autre vermine

Tout le long de la nuict me le vindrent ronger.


Le dimanche o matin, me levant par desbauche

Por chelon men desir ne saver bien macquer,

Je vis queno z’avet bruslé mes povres cauche

En fesant trop grand feu afin de les sequer.


Je maudits men destin et me mets en furie,

Jurant comme un hardot, mais le fremier soudain

Me donne un cauderon tout fin plain de boüillie,

Me vayant maints courché que je n’avez de fain.


Y me presente oncor des tartes à la poume,

Des paires de quiot et du froumage mol ;

Pis, quand j’eus pu bauffré que ne feret quatre houme,

Sa fame requinant me vint sauter o col.


« Allons, men petit maistre, allons à S. Morisse ;

Ch’etz chu jour qu’o n’y va de tou lieux et cartiers ;

Py j’yron o logis de me n’ante Venisse

Por vair passer de rang messieurs les tainturiers. »


Mais ch’estait le malur, car chetz braves gendermes

Comme des quenichons che tindrent à l’otel ;

Py su jour là le Ciel espandit tant de lermes

Que checun demeurit prez de sen queminel.


Cheux qui furent si folz que de prendre la paine

D’y bezer ste faix la, che virent pu moüillez

Que ne sont louvaroux qui dans la bos che traine,

O que ne sont des quiens o risseaux varoüillez.


L’iau s’espandit par tout ainchin que des rivieres,

Et ceux qui estetz à pied troussant leu gardecu,

De crainte de moüiller leur corset par driere,

Monstrez en plain midy le cadran de leu cu.


O estantz arrivez su la boune Venisse,

Je bus tant de poumé que j’en estetz roquet,

Et, pensant aller dret, j’alletz en ecreviche,

Me lessant à tou coups quaix dans queuque flacquet.


Retourné à Roüen je me mis su note aire,

Car je decognessez men pere et me z’amis ;

Mais, m’estans trop saoullé de pastez faitz de paire,

J’enfumis en ronflant de musc note logis.


O vla che qui m’advint cependant men viage.

Por vou, quand vo irez mouvants comme bibetz,

Gardez vou bien d’emplir vos magues de fritage,

O ainchin comme may vo dorerez vo brestz.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

Dixiesme partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facetieux en langue Purinique, ou gros Normand, presentez aux Palinots, 1635, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 91-94.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique