Les Ydropotes


David Ferrand

Éléments contextuels

1636

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

L’Autheur frequentant plusieurs honorables personnes qui tous les matins en esté alloient boire des eaux d’une source mineralle qui sort de dessouz le mont Saincte Catherine lez Roüen, fut importuné par leur amitié de les suivre. Ce qui luy donna occasion de descrire la situation du lieu, et ce qui s’y passoit, et dedia cet ouvrage aux beuveurs d’eau.

Description o luisart

Fuite par stilla qui a pouëtrisé chen qu’est plaqué ichy devant :

Su le viage fait par ly, par quemandement de ceux qui font

faire caqa o meilleure maisons, o z’yaux qui sont sous

le mont Sainte Catherine les Roüen, batisé par

ly mesme sans parreins ny marreines,

afin d’emplir sen papier Cette partie du titre est parfois manquante..


Les Ydropotes « Hydropotes ».

Grand rincheux de « des ». godets de la belle Amphitrite,

Qui pour en braire trop nou z’en arrouse « arronze ». ichite,

Quant ses petits joflus vont soufflant « souflant ». tellement

Qui ont fet quair contremont tou no moulins à vent,

Et qui as tant aymé les sources clere « claire », « cleres ». et nettes

Que suz ten double mont tu en tiens tes buvettes,

Pour en faire trinquer à un tas de dragleux,

Qui à forche « Qu’à la forche ». d’en baire en deviennent rimeux :

Pour yeuxalter une yau contraire à ta fontaine « fontaire ».,

Capigne men chervel, recauffe may la vayne,

Puis que sans ste fureur tous les vers sont pu plats

Qu’vne vieulle esquerchelle enmy mangé des rats.


Dans un petit gardin que Madelon Tellure « Madame Tellure ».

Pour attryer nos z’yeux attiffe « nos ayeux attiffé ». de verdure,

Est cette source d’iau, dont le suc gracieux

No fait lequer la lippe et esgrailler le z’yeux.


Je veux que pour passer dans le z’ouvreux des Brontes,

La supant fais à fais, par conte et par descontes,

Qu’elle ayt « aytt ». un goût ferré ; mais, luysart, entens-tu ?

Ch’est en chela qu’o sçait se « si ». n’occulte vertu,

Vertu qu’o peut connaistre « conaistre ». o fond de sa rigolle

Que no vait de couleur du sable de Pactolle « partolle »..

Elle sort d’un haut mont, ou dessu « dessus ». un condots « condors ».

Se veit la chimetiere à nos anciens Gogots

Qui pensant no ruiner tumbirent en ruine,

Les patins contremont o fin fond de la mine.


A costé est Yauplet « Yaupleut »., où les gens de su lieu

Font le mesme mestier du renoncheux de Dieu,

Qui pleurant fut absous de sa faute commise.


A l’autre costé est une petite Eglise

D’un Sainct « saint ». (du nom asteur y ne m’en souvient pas),

Mais tant y a qu’o ly fique une espée en ses bras.


L’iau de Seine la luque, et aux isles prechaines « prochaines ».

Se trouvent en estey des moustres amphibenes,

Qui tache à replacher « tachent à replucher ». chen qu’à ste region

A deniché la guerre et la contagion.


Biaux Grez, vieux truchemens des Muses babillardes

Qui no z’embreluquez l’esprit de vos Naiades,

Qu’ou feignez « Qu’on feignet ». deïtez pissantes su le z’iaux,

Pour s’y laver le cu à l’ombre des z’ormiaux,

Vos vieux fratels « fretels ». ne sont que de pures fredaines ;

Sy s’en est jamais veu aintelles aux fontaines,

Ce sont celles qu’o vait venir dedans ces lieux ;

Car l’Aurore si tost n’a deschenglé les Cieux,

Que no les vait venir trois à trois, quatre à quatre,

Et d’un pas tout gaillard pres de notte yau s’ébattre,

Où je pouvons (usant du coustumier nouvel)

Sans nulle fiction leu lequer le musel.


Ce niomains Venus n’y estalle se z’armes,

Tous ses gremissements, ses qualeurs et ses charmes ;

Ny sen petit batard aveuque sen carquois

N’y seret ennicher se z’amoureuses loix.


Car les buveux, pu blancs que n’est foure de pie,

En lieu « ce lieu ». d’aintieux brandons y gaignent la roupie,

Qui fait que chen qui l’ont « qu’il a ». est (à che que j’en croy)

Pu fraid que n’est la corde o pis de Saint Eloy.


Là su Dieu Bremien, Baqu pere des treilles,

Bien que su lieu set plein de verres et bouteilles,

N’y vient entrevesquer chen qui l’a de vigueur :

Car y l’est si battu de glache et de fraideur

Par les coups redoublez de tous ces « tou ses ». Ydropotes,

Que levant sen bagage y s’enfit pur des crottes.


Je veux bien queuque fais que, su le haut du jour,

Queuque émerillonnez, buquez de sen n’amour,

L’y viennent chuchotter aveuques leu Menades,

Et yen despit de l’iau faire leu proumenades ;

Mais que sert chennela ? Dès lendemain matin,

No z’y bait chinq chens fais bien pu d’iau que de vin ;

Car si ste source là ne remplisset leu verre

Je cray qui gratterest jiqu’o fin fond de terre

Pour en trouver le cours et ly faire despit.


Maint arbre est en su lieu, mais jamais on n’y vit

Pomme « Pomone »., dont le jus sert d’un asseuré « d’asseuré ». cristere

A ceux qui n’ont la clez de leu z’huis « leu zuis », « leu huis ». de driere.

Aussi ceux qui vont là, peur de digestion

N’y en portent jamais pour leu colation ;

Vaire n’en voudrest pas aprecher de leu lipes,

Tant ont pur que l’odeur n’en entre dans leu « les ». tripes.


Là ne s’atrape ossi par les griffes des cats

Les tranches de jambon, pastez, ni chervelats,

Ny aintieux entremets qui notte goust resveille

A chuchoter le jus que donne une bouteille :

Car les buveux hantant su cabaret nouvel

Sont si sobre et yeuxats à daubet du musel,

Qui ne portent pour tout qu’un amas de greslettes

Encloses comme manne en de petites boëttes,

Qui vont maquillonnant aveuq tieul entregent

Qui n’ont que faire apres d’aver de curedent,

Ny de serviette ossi à terquer leu moustaches,

Car y n’ont le menton ny les lippes trop grasses :


Aussi les quiens y ont un eternel repos,

Ne trouvant à ronger ny harecques ny os.

Si reste l’yau d’un verre, o leu jette à la teste ;

Mais ses pauvres tiaux-tiaux ne vo z’en font la feste ;

Y s’enfient de vou ou d’un gronder divers

Pour vo remercier vo guignent de travers,

Ou vo quittant s’en vont o haut de la montée

Attendre qu’o z’ayez tout votte eau « yau ». avallée.


Vielleux et viollonneux ny tout aintelles gens

N’ont que faire en su lieu d’apporter d’instrumens :

Car les forches de z’yaux sont tellement pressantes « pissantes ».

Qui font aux pus « plus ». bigots bien dancer des courantes,

Sans travesquer « trevesquer ». leu pieds mettant « meitent ». là le cu bas

Où no « on ». n’a (comme « coume ». o dit) que faire d’avocats

Pour juger des rezons, car la matiere est claire.


L’astrologue y pourret putost aver affere :

Car y l’y chucheret « chuchet ». de tou le z’elements

La transmigration, le grondement des vents,

Et les causes qu’o sens se trouvent pu communes.

Vaire y pourrest luquer le z’eclipses de lunes,

Clucher de leu couleurs sans mireux ny sans yau,

Ainchin que font plusieurs le musel sur un siau.


L’herbageux Galien, Parachelse, Hypocrate « Hipocrate ».,

N’ont jamais là fiqué leu z’euvre « leu œuvre ». ny pancarte.

Ossi n’a-t-on plaqué o z’abres et potiaux

Les remedes divers pour guerir de tou maux,

Ainchin qui l’y en avet o temple Apolinique ;

Car ste seule yau guarit la goutte sciatique,

La pierre, la gravelle, et yautre « autre ». mal de reins ;

A deride les fronts, fait rajeunir les teins « seins ».,

Appaise les qualeurs qu’engendrent les puchelles

Qui meurent de n’aver du lait à leu mamelles,

Guarantit leu jaunisse et les fait uriner.


A ces femmes catriche elle leu fait aver

De z’enfans gros et gras qui crient apres leu peres

Si tost qui sont sortis du ventre de leu meres.


A fait o z’amoureux passer leu z’avertin ;

Serviteurs et laquets a fait lever matin ;

Elle fait retenir o grosse chambriere

Les vents impetueux des poles du driere ;

A raffermit les nerfs, le ventre et les tetons ;

A fait o langoureux etriquer leu bastons

Et tout en un instant leu fait faire gambabes ;

A r’arune en leu sens les chervelles malades,

Les delivrant d’aller devers saint Mathurin :

Bref a l’a queuque chose en elle de divin

Pour faire comme a fait tant de divers miracles.

Aussi celle qui rend en su lieu ses oracles,

En sçait tant r’aconter qu’impossible seret

De les pouver escrire en su petit « ptit ». endret.


Je ne vo diray point les diverses contrées,

Des personnes qui sont en ce lieu rencontrées,

Tous les z’abits divers et les plaisants discours

Qui vont débagoullant ensemble tous les jours,

Où n’est point oublié chen que dans ses gazettes

A pu dire et mentir stilla qui le z’a faites La suite est parfois manquante..


Les femmes d’autre part sont ensemble o gardin,

O no peut s’asseurer qu’un claquet de moulin

Ne fait point tant de brit, coume y font (par me n’ame).

L’une quemenchera par : « Dieu vou « vo ». gard, Madame !

Quemen voz portez vous ? Et quay ! votte estomal,

Le ventre et lanturlu vo font-t’y oncor mal ?

Rendez vou bien le z’iaux ? Vo z’en prenez, je jure,

(Au moins à me n’advis) beaucoup outre mesure.

Je n’en pourrais pas prendre un tel nombre que vous ;

Cela m’engendreroit et la foire et la toux. »

L’autre devisera des faits de son mesnage,

L’autre de femme en couche, o bien de mariage,

Et mille autre discours, dont je tais le patois

Pour en oindre vo barbe oncor une autre fois,

Où vou les racontant vo z’en pourrez tant rire

Qu’o pisserez à vos cauche o bien y ferez pire.

Fin.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

Lunziesme partie de la Muse normande ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facetieux en langue Purinique, ou gros Normand. Contenant les œuvres jovialles qui ont esté presentées cette année aux Palinots, 1636, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 111-117.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique