Sarcellade
Anonyme
Éléments contextuels
1732
xviiie siècle
Non localisé
Pays d’Auge
Édition du texte
Texte A | Texte B |
Vers sur l’arrêt rendu à Aix entre le Père Girard et la Cadière Sçay tû Colin ce qu’on dit a Paris par la morguoy ils sont bien ébaubis te souviens-tu de ste la Cadiere dont je lisions les factotons naguere Comme al disoit que su pere Girard dres qu’il estoit avec elle a l’ecart apres avoir bian varouillé la porte, la visitoit comme une beste morte, pis la tâtoit et la lantiponnoit tant qu’un biau jour su vilain maladroit l’avoit rendue a ce qu’elle disoit mere. Et pis encore le plus mal de l’affaire C’est que le drôle avoit sceu bian et biau Envoyer cha tout d’un coup avant liau que finement il l’avoit par adresse Embabouinée en allant a confesse ou son haleine estoit un franc poison qui par troubloit aux filles la raison tant y a qu’apres elles devenoient folles n’aymoient point Dieu, faisoient cent cabriolles chacun disoit qu’il estoit un sorcier Et qu’il faloit de ly se défier Dame j’estions en si grande colere que je voulions que l’on brulit su Pere ou qu’à ly fit réparation d’honneur si le discours de l’autre estoit menteur Car je disois si cestoit calomnie la chienne doit ma foy estre punie au liei que si cest vray ce qu’al en dit, faudroit brûler ce Directeur maudit. Oh Diable zop ces Monsieurs de Provence avons a tous baillé pleine indulgence C’est la besongne a jean congne festu qui a plus mis enfin a plus perdu Et niant moins n’an dit que les Jesuites de ça pour rien, n’avons pas esté quittes qu’il a falû pour ce biau jugement – aux juges d’Aix lâches biaucoup d’argents s’ils n’aviont pas fait pendre la Cadiere c’est qu’ils aviont lhimeur trop minagere Et morguié leur faute assurement car ils aviont payé tout simplement que pour sauver Girard de la Brulure ils pouvoient mieux terminer l’avanture S’ils avions pris par ma fy me n’avis on les auroit tout a leur gré servis il ne falloit que redouble la dose ils auroient veu morgué tout autre chose Les Provenciaux tout comme les Normands plus ils prenions, plus ils servions les gens Encor dit on qu’on envoyera ce Prestre queux son Prelat pour ly laver la teste on est bian sur qu’on ne ly dira rian mais stanpandant ça ne sonne pas bian a-t’on jamais baillé des penitences qu’à ceux qu’avions mauvaises consciences C’est donc sticy qu’à pû mal fait ça saute aux yeux bian cler et net les scelerats en ont grand chagrinage ils soupirions et sont remplis de Rage Car dans le fond ils sentions comme nous – que ce n’est pas ainsy qu’on doit sortir absous il eut falu pour bailler la Victoire Et rempiecer un tantinet leur gloire que ceux qu’ont dit pis que pendre d’eux fussent punis comme calomnieux ou l’an dira toujours qu’an leur fait grace Et que voila leurs tours de passe passe qu’ils avont tant de finances et d’amis que tout le mal qu’ils font leur est partout permis mais maugré ça, dres là qu’on verra ces bons drilles On crira garre garre aux garçons comme aux filles. Seigneur, préservez le Roy d’un Guignard Et nos femmes et filles du Girard. |
Sarcellade Sçais-tu, Collin, ce qu’an dit à Paris ? Par la Morguienne ! Ys sont bian ébaûbis. Te souviant-il de cette la Cadiére, Dont ys lisions les Factotons n’aguiére ? Comme al’ disoit que ce Pére Girard, Dès qu’il étoit avec elle, à l’écart, Après avoir bian varroüillé sa porte, La visitoit comme une Bête morte ; Qu’il la tâtoit & la lantiponnoit ; Tant qu’un biau jour, ce vilain mal-adroit, L’avoit rendûë, à ce qu’al’ disoit, Mére ; Et pis encor, le pus mal de l’affaire, C’est que ce drôle avoit scû, bian & biau, Envaïer ça, tout d’un coup, à vaul’iau ? Que finement il l’avoit, par adresse, Embaboüinée, en allant à confesse ; Où son halaine étoit un franc Poison, Qui partroubloit aux Filles la Raison : Tant qu’ia qu’après alles devenions folles ; N’amions que l’y, fasions mil cabriolles, Pourquai disions qu’il étoit un Sorcier, Et qu’il falloit de l’y se méffier. Dame ! J’étians en si grande colère, Que je voulians que l’an brûlit de Pére ; Ou qu’an l’y fit reparation d’houneur, Si le discours de l’autre étoit menteur. Car je disians ; si ç’atoit calonnie ; Cette Chienne devroit être punie : Mais si c’est vrai, tout ce qu’alle nous dit, Faudroit griller ce Lucifer maudit. Au Diable-zoc ! Ces Monsieurs de Prouvence Avons, à tous, baillé pleine indulgence : C’est la besogne à Jean Cogne-Festu ; Qui plus a mis, & plus y a pardu. Et qui pis ast, an dit que les Jesuites, De ça, pour rian, n’avons pas été quittes ; Qu’il a fallu, pour ce biau Jugement, Aux Juges d’Aix, lâcher biaucoup d’Argent. S’ys n’avons pas fait pendre la Cadière, C’est qu’is avont l’himeur trop minagiére : Et c’est, farni ! leur faute, assurément, Car ys n’avons paie, tout simplement, Que pour sauver Girard de la brûlure. Ys pouvions meux conduire l’avanture, S’ys avions pris un tantinet mn’avis : An les atroit tous à lieur gré sarvis ; Y ne faloit que redoubler la dose, Ys auriont eu, Morgué ! Toute autre chose. Les Prouvenciaux sont comme les Normands, Plus ys bûvons, mieux ys sarvons les gens. Encor, dit-on, que l’an envoie le Prêtre Cheu son Prélat, pour l’y laver la tête : An est bian sûr qu’il ne l’y dira rian ; Mais stanpandant ça ne sonne pas bian. A-t-on jamais baillé des Penitences, Qu’à ceux qu’iavons mauvaises consciences. C’est donc l’y qu’est stila qu’ia pus malfait ; ça saute aux yeux, on le voit cler & net, Ces bons Caffards en ont grand chagrinage, Y s soûpirons, grinçons les dents de rage ; Car, dans le fonds, ys santons comme nous, Que ce n’est pas ainsi, qu’an est absous. Il eût fallu, pour leur bailler victoire, Et rapiécer un tantinet leur glore, Que ceux qu’ont dit pire que pendre d’eux, Fussiant punis comme calonnieux. An dit par-tout qu’an leur fait toûjours grace, Et que vélà leurs tours de passe-passe ; Qu’ys avons tant de Finance & d’Amis, Que tout le mal qu’il font leur est parmis ; Mais maugré ça, dès qu’an verra les Drilles, An crîra ; Gare, aux Garçons comme aux Filles ! |
Commentaire sur l’édition
Texte A : reprise de l’édition Lajoye.
Texte B : reprise de la version du Glaneur historique, LXXVI, 15 novembre 1731.
Source ou éditions princeps
Texte A : Médiathèque André-Malraux de Lisieux, ms. 37, fo 30-32.
Texte B : Le Glaneur historique, moral, littéraire et galant, LXXVI, 15 novembre 1731, avant-dernière et dernière pages.
Édition critique
Patrice Lajoye, « Un manuscrit janséniste conservé à la Médiathèque de Lisieux. À propos d’une satire en patois du xviiie siècle contre l’évêque de Lisieux », Bulletin de la Société historique de Lisieux, 90, 2020, p. 149-181.
Études
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Commentaire historique et contextuel
Scandale survenu à Aix en 1731, l’affaire Girard-Cadière connut un retentissement national. Un père jésuite, Girard, était soupçonné d’avoir abusé d’une jeune femme, Catherine Cadière. Les Jansénistes, opposés aux Jésuites, se sont emparés de l’affaire et ont diffusé à ce sujet un nombre important de poèmes et chansons satiriques, dont ce poème, signalé comme étant une sarcellade par l’avocat au Parlement de Paris Mathieu Marais (Journal et Mémoires de Mathieu Marais, avocat au Parlement de Paris sur la Régence et le règne de Louis XV (1715-1737), éd. M. de Lescure, t. IV, 1868, Paris, Firmin Didot, p. 311-312).
Commentaire linguistique
La version de cette sarcellade contenue dans le manuscrit de Lisieux diverge par sa langue de l’autre version connue. Les sarcellades sont supposées être écrite en parler d’Île-de-France. Ici, il n’a été conservé de ce parler que ce qui est compatible avec les parlers normands, et notamment la conjugaison des verbes. Par ailleurs, divers normanismes ont été ajoutés : « ste la Cadière » pour « cette la Cadiére », « su pere Girard » pour « ce Pére Girard », « envoyer cha » pour « envaïer ça », « besongne » pour « besogne », « queux son prélat » pour « cheu son Prélat ». Cette normanisation n’est toutefois pas complète. Ainsi lit-on encore « la chienne », quand « la quienne » serait attendu.