Allez vous asseoir


Anonyme

Éléments contextuels

1886

xixe siècle

Trouville

Pays d’Auge

Édition du texte

Allez vous asseoir

Même en Normandie, la loi Naquet est en faveur. Beaucoup de conjoints profitent de l’occasion pour se démarier.

Dernièrement à X… une pauvre femme qui était battue tous les jours par son mari, plaidait pour obtenir son divorce.

Après avoir entendu les deux époux le président fait appeler les témoins de la plaignante.

Le premier appelé dit au président que tous les jours il entendait François battre sa femme.

« Mais, dit le président, vous ne l’avez pas vu ?

— Non, M’sieur j’l’on intendu.

— Si vous ne l’avez pas vu, vous ne pouvez répondre de rien ; allez vous asseoir ! »

Le second témoin répète la même chose.

« Mais répond le président, vous ne l’avez pas vu ?

— Non, mais j’l’ons intendu.

— Allez vous asseoir ! »

Arrive le tour d’une bonne vieille qui dépose ainsi :

« J’demeurons à coté Franchois ; n’y a qu’une parai qui nos sépare, j’entendions tont c’qui disaient. Eh pi ! je pieus vos asseurer qu’la pore fàme o l’était souvent battue.

— Mais l’avez-vous vu ? dit le président en s’impatientant.

— J’n’l’ons point vu ? mais j’sieus ben sûre qué Franchois y battait sa créiature, et fort aco !

— Si vous ne l’avez pas vu, allez vous asseoir ! »

La bonne vieille se retourne pour s’en aller, mais non s’en [sic, pour sans] laisser entendre un léger bruit qui fait rire aux éclats tout l’auditoire.

Le président la rappelant et indigné :

« Madame, vous venez de manquer de respect à la Cour.

— J’n’ons point compris moussieu.

— Vous vous êtes oubliée et…

— L’avous vu ?

— Non, mais je l’ai entendu.

— Eh pi ! reprit la bonne femme, si vos né l’ont point vu, alez vos assiére !

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’original.

Source ou éditions princeps

La Plage de Trouville, 28 mars 1886.

Édition critique

Patrice Lajoye, « Quelques saynètes humoristiques du Pays d’Auge du xixe siècle », Bulletin de la Société historique de Lisieux, 94, 2022, p. 147-148.

Études

Patrice Lajoye, « Quelques saynètes humoristiques du Pays d’Auge du xixe siècle », Bulletin de la Société historique de Lisieux, 94, 2022, p. 133-151.

Commentaire historique et contextuel

Ce court texte a été beaucoup repris par différents titres de presses, et même au Québec (Le Canard – Montréal –, 15 mai 1886), parfois jusqu’à plus de dix ans plus tard. Il fait directement référence à la loi Naquet, du 27 juillet 1884, qui rétablit le divorce en France, après 68 ans d'interdiction. Quoiqu'humoristique, ce texte montre toute la difficulté pour une femme de demander le divorce en apportant la preuve que son mari était violent.

Commentaire linguistique