Bouquet offert à l’Impératrice, Reine et Régente


Anonyme

Éléments contextuels

1813

xixe siècle

Caen

Plaine de Caen

Édition du texte

Bouquet offert à l’Impératrice, Reine et Régente, par le Département du Calvados, le 24 août 1813, veille de la Fête de Sa Majesté, et jour de son passage à Caen, en allant à Cherbourg En tête de la publication du Haro :« En 1813, l’impératrice Marie-Louise passait par notre ville. Les courtisans d’alors, devenus depuis courtisans de la Restauration et de Louis-Philippe, pensèrent à lui offrir un cheval, — l’offrande du cheval était déjà inventé dès cette époque, — un taureau, un taureau aux cornes dorées ; d’où je conclus que ce n’est ni Louis Blanc, ni Georges Sand qui ont eu le mérite de l’invention en 1848.Au milieu de toutes les curiosités manuscrites que je possède, j’ai retrouvé le petit intermède qui fut joué dans le jardin de la préfecture ; que les courtisans de l’époque le méditent et l’imitent. Voici ce précieux chef-d’œuvre. B. P. ».

Argument.

La Basse-Normandie, dans laquelle l’impératrice, reine et régente, entre par le Calvados, se présente pour célébrer la fête de Sa Majesté ; elle est représentée par l’allégorie qui suit :

Programme.

Des dames, habillées complètement à la normande, tiennent des corbeilles dorées, remplies de fruits et de fleurs. Elles se groupent sur la terrasse du palais, en face des fenêtres de l’appartement principal.

Derrière elles, deux gardes d’honneur à cheval, deux gardes d’honneur à pied et deux gardes nationaux de la ville de Caen, vêtus en paysans herbageurs de la vallée d’Auge, entourent un taureau blanc, dont les cornes sont dorées, les flancs couverts d’une pièce écarlate à franges d’or, le front orné d’une couronne de fleurs et de bandelettes de pourpre.

À côté d’eux est un brancard décoré, qui porte deux barriques dorées, remplies l’une de cidre, l’autre de lait. Un jeune enfant, vêtu et coiffé à la normande, est assis au milieu, tenant deux coupes de cristal. Ce brancard est porté par quatre paysans herbageurs. On offre le cidre à S. M., comme il est d’usage d’offrir aux souverains les vins d'honneur.

Sur le dernier plan, se placent les gardes d’honneur à cheval et à pied, et les officiers de la garde nationale.

En avant de ce groupe, deux gardes d’honneur tiennent par la bride un superbe cheval destiné à être offert à S. M. au nom du Département.

Ce cheval, le plus beau qu’on ait vu depuis bien des années dans le pays, est revêtu d’une riche couverture de velours. Son mors est doré, sa bride d’un tissu d’or et de pourpre ; Il est ferré d'argent.

À droite du perron du salon de S. M. est placé un orchestre composé, principalement de harpes, de flûtes, de cors et de bassons.

Ces dispositions ont été faites dans le plus grand silence.

§. 1er.

Scène Ire.

Tout-à-coup, la musique se fait entendre et continue jusqu’à ce que l’impératrice daigne paraître.
À la vue de S. M., et pendant la ritournelle, les dames, vêtues en paysannes normandes, et rangées en demi-cercle devant le perron, s’avancent respectueusement, et déposent les corbeilles de fleurs et de fruits sur les degrés.

Cantate.

Coryphée

Grande reine, à vos pieds la seconde Neustrie
S’incline avec respect, et dépose ces fleurs,
Tributs légers, mais tributs de nos cœurs,

Chœur des femmes.

Salut, ô Louise ! ô Marie !
Fille, épouse, mère de Rois ;
Tout ce qui vit, respire
Sous vos aimables lois,
Dans cet immense Empire,
Emprunte aujourd’hui notre voix.

Coryphée.

Normands, chantez cette douce puissance,
Ce sceptre dont la majesté
Ne s’annonce au monde enchanté
Que par la bienfaisance.

Chœur général.

Salut, ô Louise ! ô Marie ! etc.

Coryphée.

Vous nous quittez ; mais notre amour
Vous attend au retour,
Vous suit sur l’Océan, au milieu des merveilles
Que voulut et créa Haro : « Que voulut, que créa ». le grand Napoléon,
Et dont frémit le farouche Breton.
Dans le lointain nos chants à vos oreilles
Peut-être encore retentiront,
Et vous diront :

Chœur général.

Salut, ô Louise ! ô Marie ! etc.

Les dames se rangent à la gauche de S. M. et laissent voir les herbageurs, le taureau et le brancard qui porte les barils.

§ IIe.

Scène II.

Un herbageur s’incline et dit :

J’avons ben vu c’matin vot’ Majesté

Traverser l’pays d’Auge ;

Pour elle j’avions apprêté

Un compliment en guis’ Haro : « guise ». d’éloge ;

Mais elle Haro : « alle ». allait JdC : « alloit ». d’un train d’poste, oui-dà,

Et j’sommes restés là…

Nos herbageux, qui sont tous d’gens Haro : « tous gens ». de tête,

M’ont dit comm’ça : luron, sais-tu queulle Haro : « qu’uelle ». fête

Qu’la fête de demain ?

— Non, fis-je : quoi ? ma fé non, j’nen sais rin Haro : « rien »..

— La veille d’S.-Louis. — C’est la fête d’Louise,

C'est la fête d’Sa Majesté.

— Morguenn’ si j’men étions douté.

— Eh ben allons à Caen. — Tiens donc c’te barbe grise,

À Caen ; mais y faut d’quoi. Si j’faisions un cadiau

À notre Impératrice ?

— Un cadiau, nous ? Oui, j’en ferons un biau,

Et pis j’dirons… Madame, à vot’ sarvice Haro : « service ».

J’avons des cœurs, des bras et d’bons bras.

Ils sont à vous, à not’ Haro : « notre ». glorieux maître,

À ce cher petit Roi que j’brûlons de connaître JdC : « connoître ».,

Que nous, que nos éfants Haro : « enfants »., fût-ce dans cent combats,

Saurons, jusqu’au dernier, défendre.

Et si les sentiments

De vos braves Normands,

À votre cœur se font entendre,

Prouvez-nous le, Vot’ Haro : « not’ ». Majesté,

En acceptant avec bonté

Ce tauriau qu’en bon pâturage

J’avons graissé, n’espérant pas

Pour lui tant d’honneurs en partage.

Nos pays varts Haro : « verts ». ont peu d’appas,

Nos produits sont grossiers ; mais leur culture utile

Nourrit et votre cour et Paris la grand’ ville,

Et cent mille de vos sujets,

Qui vous disent, du fond de leurs féconds marais :

Sous la pourpre royale,

Dans un brillant festin,

(Car on dit que les Rois comm’ nous parfois ont faim)

Quand la tranche de bœuf avec luxe s’étale,

Reine, souvenez-vous un peu du Calvados,

De ses bons habitans, aussi de leurs tauriaux.

L’herbageur se tournant vers le brancard : À toi m’n éfant.
L’enfant descend du brancard, lève vers S. M. ses Haro : « les ». deux coupes, l’une remplie de lait et l’autre de cidre, et dit :

Le nectar de Pomone Haro : « de la pomme »., un savoureux laitage,

Sont Haro : « Font ». des champs Neustriens les trésors les plus doux ;

Reine, ce tribut humble est peu digne de vous,

Mais il est, tendre mère, offert par le jeune âge.

L’enfant renverse ensuite, en forme de libation, la liqueur contenue dans les coupes et revient prendre place sur le brancard.

Chœur général.

Salut, ô Louise ! ô Marie !

Pendant le chœur, le taureau et le brancard s’éloignent ; les herbageurs se rangent à gauche derrière les dames, et découvrent les groupes des gardes d’honneur.

§ IIIe.

La IIIe et dernière scène s’annonce par une fanfare ; le Préfet, par l’intermédiaire de M. le Chambellan de service, demande à S. M. la permission de lui offrir, au nom du Département, le plus beau cheval que possède le pays.
Si S. M. donne son agrément, le commandant de la garde d’honneur à cheval s’avance, suivi des gardes qui tiennent le cheval par la bride, et dit :

Des champs féconds de la Neustrie

Le voilà le coursier ardent ;

Plus que jamais fier ce fils de Trident

Se déploie aujourd’hui l’orgueil de la patrie.

Sa superbe encolure et ses jarrets nerveux

Sont formés pour César comme pour la victoire ;

Mais à briller d’une plus douce gloire

Il est consacré par nos vœux.

Sur sa croupe agile et soumise,

Que, maîtrisant sa fougue, il reçoive Louise !

Que, fier d'être guidé par d’enfantines Haro : « d’infantines ». mains,

Il marche le premier sous le Roi des Romains !

Et si l’ambition nous est encor permise,

Alors qu’il portera de si nobles fardeaux,

Qu’en l’honneur des coursiers dont il est le modèle,

Qu’en souvenir de notre amour fidèle

Il soit nommé le Calvados.

Chœur général.

Salut, ô Louise ! ô Marie ! etc.

Si S. M. le permet, on commence une ronde normande. Le coryphée chante ce qui suit ; les danseurs répondent.

Ronde.

1.

Allons, dansons Haro : « danseurs »., tous à la fète

De c’te Reine que j’chérissons ;

Pour ça sans nous creuser la tête,

J’aurons bientôt JdC : « bentôt ». fait nos chansons ;

Car tous les cœurs sont à Louise,

Et sur-tout les cœurs des Normands :

2.

Faut s’exprimer avec simplesse

Pour peindre l’excès du bonheur ;

Les cris d’une vive alégresse

Parlent mieux qu’un grand orateur.

Oui, tous les cœurs sont à Louise,

Et sur-tout les cœurs des Normands :

3.

Ah ! qu’j’aurions la démarche altière,

Si j’étions fiers autant qu’heureux !

C’est nous qui de la France entière

Portons les bouquets et les vœux.

J’offrons tous les cœurs à Louise,

Et sur-tout les cœurs des Normands.

4.

J’l’y baillons Haro : « J’li baillions ». avec assurance

Les plus biaux produits de nos champs ;

Jamais une mère n’s’offense

Des p’tits cadiaux de ses enfants JdC : « enfans »..

Oui, tous les cœurs sont à Louise,

Et sur-tout les cœurs des Normands.

5.

J’voudrions ben dans not’ antienne

Met’ un p'tit mot d’Napoléon ;

Mais j’avons par trop courte haleine

Pour célébrer un si grand nom.

Pour nous l’indulgente Louise

L’y dira : compt’ sur JdC : « sus ». tes Normands.

6.

J’pouvons ben mêler à la fête

C’p’tit Haro : « C’petit ». garçon qu’est d’jà grand Roi ;

Que d’son JdC : « de son ». père il ait la tête,

Et d’sa mère l’doux je n’sais quoi :

Et l’aimable éfant de Louise

Sera l’idole des Normands.

7.

Puiss’ Louise entendre sans cesse

Queuq’ fidèle écho dans sa cour

Qui l’y dise : Grande Princesse,

Des Normands v’ z’avez JdC : « vous zavez » ; Haro : « v’s avez ». tout l’amour :

Oui, tous les cœurs sont à Louise,

Et sur-tout les cœurs des Normands.

Les danseurs se tiennent rangés sur une file, se portent en avant et en arrière, et toujours de manière à présenter la face à S. M., dans les intervalles où le coryphée chante seul.
À la fin du dernier couplet, le coryphée prend la tête de la colonne, qui se replie sur elle-même, toujours chantant, et sort par le pont de communication entre les deux hôtels.
La fête est entièrement terminée quand les chants expirent dans le lointain.

Personnages chantans.

Paysannes normandes.

Mmes. la Baronne Méchin, Coryphée.

Eugêne d’Hautefeuille.

Osmont (Auguste).

Pellapra.

De St.-Sauveur.

De Vauquelin (Charles).

De Villaunay (Adrien).

Mlles Du Crabon.

De Formigny.

Houssaye.

Hubert.

Massieu de Clerval.

Osmont.

De Piédoue.

Poignant.

De Ranville.

Raoulx.

Reynell.

Rousseau.

Paysans normands.

MM. Cavelier (Frédéric).

De la Fresnaye (Frédéric).

Joyau.

Housset (Casimir).

Langlois.

Pellapra.

Rousselin (Marcel).

Tragin.

De la Tuillerie.

De Vauquelin (Charles).

Personnages parlans.

MM. Labbey de Druval.

De Grimouville (Gustave).

Mlle Pellapra (Émilie).

Personnages figurans.

Gardes d’honneur à cheval et à pied.

Officiers de la garde nationale.

La musique est de M. Catel, inspecteur du conservatoire impérial de musique.

L’orchestre est composé de MM. les Amateurs et Professeurs de la ville Dans la version publiée par le Haro, cette liste figure en tête du texte..

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur la brochure de 1813. Les variantes données par le Journal du Calvados et le Haro sont rapportées en note.

Source ou éditions princeps

Bouquet offert à l’Impératrice, Reine et Régente, par le Département du Calvados, le 27 août 1813, veille de la Fête de Sa Majesté, et jour de son passage à Caen, en allant à Cherbourg, août 1813, Caen, G. Le Roy.

Journal du Calvados, n°68, 25 août 1813.

Le Haro, 3 août 1850, d’après un manuscrit.

Édition critique

Patrice Lajoye, « Le patois au service de la communication politique, à propos d’un spectacle offert à Caen à l’impératrice Marie-Louise », Les Villes de Normandie. Naissance, essor, crises et mutations, 2022, Fédération des Sociétés historiques et archéologiques de Normandie, p. 399-409.

Études

Patrice Lajoye, « Le patois au service de la communication politique, à propos d’un spectacle offert à Caen à l’impératrice Marie-Louise », Les Villes de Normandie. Naissance, essor, crises et mutations, 2022, Fédération des Sociétés historiques et archéologiques de Normandie, p. 399-409.

Commentaire historique et contextuel

Tandis que les armées impériales refluent inexorablement vers la France, l’impératrice Marie-Louise se déplace à Cherbourg, où elle doit inspecter les travaux du port militaire. Lors de son passage à Caen, le préfet décide mobiliser les notables de la ville, afin de lui offrir un spectacle qui montre une caricature des paysans du Pays d’Auge, et célèbre la prospérité de la Normandie, alors même que l’année d’avant, une émeute liée au prix du grain avait eu lieu à Caen. L’auteur pourrait être Pierre-Jacques-André Bonel, dit PGA Bonel, auteur à succès de vaudevilles joués à Paris, mais aussi porte-drapeau de la garde d’honneur à Caen.

Commentaire linguistique