Saynète sans titre


Anonyme

Éléments contextuels

1872

xixe siècle

Trouville

Pays d’Auge

Édition du texte

On nous adresse la note suivante, avec prière de l’insérer.

Ceci se passait dans la commune de… près Trouville, au moment du vote du dernier plébiscite, de funeste mémoire.

Le garde champêtre.

Einh, bon jou, père B…, coment qu’chà va ?

Le paysan.

Par mal, moussieu nout’ garde !

Le garde.

Ah, n’ m’en parlez pas, père B…, j’ sieux sus les dents, penschez donc ! y s’parait qu’ils veûzent d’molir not’ emp’reur et schupprémer les gardes champêtes.

Le paysan.

Par exempe, est y bien Dieu possible ! et queux ch’ qui veuillera chur nous champs.

Le garde.

Ah, dam ! voélà, père B…, dirrre que vous avez là le piux bieau champ d’avoine de la commeune.

Le paysan.

Ah oui, le pus bieau !

Le garde.

Esqu’vous peuvez vous r’veiller, demain, peillé, volé, ruené, père B…

Le paysan.

O mon Diou, aïllez pétié de moi !

Le garde.

Mais rassieurez vous un peu, père B…, m’chieu nout maire pense à tout, veuille à tout, y m’a dit, comme cha : un grand danger nous m’nace ! des schélérats en voûlent à la r’ligion, à nos pro-pri-é-tés ; scherrons nous les rangs ! ils veulent renvercher l’emp’reur, qui nous fait veude nous denrées chi cher, pour fondre t’ensieutte chûr nous campagnes, comme des loups cherviers, mais j’scieux la mo-à !

Le paysan.

Le brâve homme !

Le garde.

Oh, oui, un degne homme ! Pour lors, y m’ dit comme cha : maitre Galchet, j’ compte chûr tou gète au moment du pérille, preuviens tous nos breaves habitants de… dis leux que j’veûille naeit et jou chûr leux récoltes, sûr leux foï yers do-mes-ti-ques à qu’ils peuvent compter sur mo-à à la vie, la mort.

Le paysan.

C’mment r’connaitre…

Le garde.

Voéla père B… ! Pour lors, il y aura comme cha, une élection demanche prochain.

Le paysan.

Et queux qu’ cha peut nous faire à nous, cha ?

Le garde.

Attendez, père B… ! une élection ouche que cheux qui veûzent coucherver leur propriétés iront depoger un oui.

Le paysan.

Ah ! ch’est biau différent ! j’eirai Moussieu le garde.

Le garde.

Et ouche que cheux qui veûzent partager diront non.

Le paysan.

J’ deirai oui, j’ dirai oui, M’chieu le garde, bien chûr !

Le garde.

Ch’est entendu, père B… ! et pour éviter eune erreur, voichi le p’tit bulletin qué m’chieu le maire m’a dit de vous r mettre, à vous tout cheul, et qu’il a marqué comme cha, d’eune croix’ pour qu’il l’ r’econnaisse.

Le paysan.

Ah le brave homme ! ah, l’honnête homme ! c’hest lui qui devrait l’avoire, la croix. J’eirri Moussieu nout garde, j’eirai !

Espérons que les habitants de… éclairés aujourd’hui sur les manœuvres de leurs faux dieux, n’acueilleront plus comme mot d’Évangile, les avis et les conseils de M. le maire et de son garde-champêtre et qu’ils voteront, à l’avenir, librement et avec connaissance de cause. Espérons aussi que M. le maire ne sera pas décoré.

Pour être assurés que nos espérances pourront se réaliser, il suffit de constater : Que, sous la République, les denrées n’ont pas diminué de valeur, au contraire et que M. le maire de… intrigue toujours comme par le passé.

Un électeur de la commune de… canton de Trouville-sur-Mer.

P.-S. — Le besoin d’une école se fait vivement sentir dans la commune de… ; M. le maire et son garde-champêtre diront peut-être non, mais les habitants diront oui, pour sûr.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’original.

Source ou éditions princeps

La Plage de Trouville, 25 août 1872.

Édition critique

Patrice Lajoye, « Quelques saynètes humoristiques du Pays d’Auge du xixe siècle », Bulletin de la Société historique de Lisieux, 94, 2022, p. 149-151.

Études

Patrice Lajoye, « Quelques saynètes humoristiques du Pays d’Auge du xixe siècle », Bulletin de la Société historique de Lisieux, 94, 2022, p. 133-151.

Commentaire historique et contextuel

Les deux personnages discutent de politique, et notamment du dernier plébiscite organisé sous Napoléon III, le 8 mai 1870, visant à faire approuver par le peuple les réformes libérales de l'Empire. Le garde champêtre cherche à y influencer le vote d'un paysan.

Commentaire linguistique