L’amoureux d’saint Rho’
Anonyme
Éléments contextuels
–
xixe siècle
Saint-Quentin-les-Chardonnets
Bocage
Édition du texte
L’amoureux d’saint Rho’
Dep’is trais mais j’aim’ Scolastique,
Comme on aime, quand on a vingt ans,
Mains dans l’cœur j’éprouve eunne panique
à l’idée d’li peind’e mes tourments ;
C’est vra’, je n’ose
l’i dir’ la chose,
c’qui fait qu’ses yeux
m’rendent malh’ureux,
près d’sa personne,
j’tremb’e et j’frisonne
comme un p’tit chat
d’vant un gros chat.
Bin souvent j’ai v’lu l’i dire c’que j’avais sus l’cœur, mains dès qu’o s’apperche de ma, j’reste la goule ouverte comme eunne carpe qui manque d’ia… je m’sens l’cœur qui s’serre comme s’il l’tait prins ent’e deux portes et qu’on pousserait d’ssus, ça me remonte dans l’estoma’ absolument d’même que si j’avais mangé à dinner cinq à six oreilles de galette sans avalé eunne tassée d’pré et qui se r’fuseraient à passer.
Pourtant à vais la femme qui m’touche,
o r’semb’e aux aut’es c’nest point douteux
ol’a des yeux, un nez, eunne bouche,
mains qu’eu bouche, qu’eu nez, qu’eux yeux !
Faut j’vous enguége
vais son visège
que dis-je ? hélas !
n’la regardez pas,
j’vous en supplie
car pour la vie,
je s’rais d’vous tous
par trop jaloux
Tenez, je n’sais point fort, je n’sais point brave, j’sais poltron même, un égua m’f’rait sauvé’ ; mains quand j’vé l’ga’s Leponesse l’i causé’ en d’ssous… tout bas à l’oreille, d’rère la barge de Jâka, entre le kioset et l’courti’, qui mijotte o les cordons d’son d’vantia, qui l’i prend les mains, qui les serre, et qu’o sourit ou qu’o bianchit, saprist ! qui l’i touche les génonets, qui la tient à brassée, qui la bécotte, qui la bise en poupin, qui vient iatrapper son chaudet ! ah ! miséricorde ! qu’ça m’fait don’ d’ma’ !!! jeune n’me posséde p’us, ça m’anime, ça m’crispe, ça m’tortille, j’sais sur l’gri sur des tisons, j’mors, j’égratigne… sauvons… sauvons… car si jenne me r’tenais pas… mains h’ureusement j’me r’tiens.
Quand l’ser on allume la chandelle,
à la fenêt’e ouss’qu’o r’coud ses bas,
je vais me mett’e en sentinelle
et sans qu’o m’veil’ j’vé ses gros bras
J’reste et j’essuie
l’vent et la pluie ;
l’bruit, les voleux
m’causent pas d’frayeux,
je pense que si gèle
que c’est pour elle
et d’suite mon cœur
trouve d’la chaleur.
Tous les sers, j’vas comme ça la guetter à la chandelle, à l’exception du dinmanche. Ce jour là, dès que la messe sonne, et qu’o part pour l’église, j’la sieux le long d’la rotte du taillis des Bérieux soûls, quand o’ passe le gros échallier du pré à Jean le Fin et qu’o’l’est à califourchon, je m’quèche dans eunne touffée d’boulia, j’apercé jusqu’aux jarrets… qu’eux biaux pommiaux d’jambe qu’ol a !!! C’est-y dommége de n’pas les r’gardé p’us long-temps, ça m’f’rait tant d’piaisi !!! Arrivé à l’église, je m’piace pas l’in d’Solastique, à coté d’un des pôtiaux du quioché’ !! c’est là que j’sais h’ureux ! j’la r’garde, j’la mire, j’la lorgne… qu’eu bonheur ! j’l’i fais des mines, j’l’i souris… j’ienveille des p’tits baisers ben genti’s par derrière, sans faire sembiant, et p’is j’l’i dis tout bai sans qu’o l’entende, oh ! o’ n’lentend pas… ma Scolastique ! si tu savais mon cœur… oui… vra’… toujoux… ma parole ! Ah ! j’voudrais qu’l’office dure trais joux et trais nis, sans berre ni manger ; j’ais ben gourmand, j’aime assez à r’umer d’la margoulette, mains l’amour ime kiôt l’bet.
P’us je pense à cette enchanteresse,
p’us j’laime, mains p’us je m’trouve poltron ;
aussi pour qu’o séche ma tendresse
j’en avais chargé l’p’tit Simon
Y d’vait l’i dire
tout mon martyre
tout c’que je r’ssens
d’peines et d’tourments
y d’vait la rendre
sensible et tendre
et l’amener
à m’adorer.
Oui, y d’vait faire tout ça l’mauvais ga’s… j’lavais rencontré à l’assemblée d’saint Mars et j’iavais dit : dis don’ Simon ? Que qu’y a Timothée ? Vieux-tu m’rend’e un service ? Deux si ça n’coûte ren. Eh ben ! ta qu’est assez déluré et hardi ovec les ménégères, tu devrais ben faire pour ma qui n’ose une déclaration à Scolastique. J’vieux ben, mains pour êt’e aimab’e faut faire d’la dépense la payeras-tu ? Oui j’la payerai, tiens v’là 35 sous. Bon qui dit… La d’ssus i’accoste Scolastique et i’ vont danser, après i’ la mene berre, après i’ la r’mène danser, après i’ la regale de café et d’vin chaud pour l’émoustiller y la fait tournailler sur les ch’vaux d’bois pour l’étourdi, y l’i fait vais la lanterne magique pour l’ébéloui’… Enfin quand ça été fini, Dieu merci ! j’li dis : eh ben ! que qu’o t’a dit ? O m’a dit qu’tes un bêtât et qu’t’en es pour ton argent. (d’un air consterné) Oh ! est-y possible ! Dieu de Dieu ! est-y possible !!!
Ah ! qu’d’êt’e éprins d’eunne jeunesse
ça fait mal au cœur et ça biesse
comme ma quand on est enfiammé
et qu’on n’est pas p’us aimé
oui, oui, c’est un supplice de damné.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’original.
Source ou éditions princeps
Arch. dép. Orne, 159 J.
Édition critique
Patrice Lajoye, « À propos de quelques textes inédits en patois de l’Orne des xviiie et xixe siècles », Études ornaises, 5, 2023, p. 109-112.
Études
Patrice Lajoye, « À propos de quelques textes inédits en patois de l’Orne des xviiie et xixe siècles », Études ornaises, 5, 2023, p. 98-114.
Commentaire historique et contextuel
Cette chanson provient du fonds Lelièvre, déposé aux Archives départementales de l’Orne. Il s’agit en fait d’une chansonnette, c’est-à-dire une œuvre qui mêle parties chantées et parties racontées, un genre très en vogue au xixe siècle. Il ne s'agit pas d'un texte traditionnel, populaire, mais de la traduction en patois d'une chansonnette de Charles Le Tellier, L'Amoureux de Caen, publiée en 1844. Le Tellier était alors connu pour des chansons données à Paris et incluant régulièrement une forme de patois affadi. Il n'y a pas de mention de traducteur : peut-être s'agit-il de Lelièvre lui-même.
Commentaire linguistique
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