Légende sans titre


M. et Mme Martinet

Éléments contextuels

1913

xxe siècle

Les Loges-Marchis

Avranchin

Édition du texte

Voûlou t’y saveu caôment St Pieurre feu l’patron d’cheux nous ? Ecouteu bi : dô l’temps jadis n’y aveu, un cureu qui voulait m’neu un gros St Pieurre de granit dô la Bretaîgne. Tout alli bi en Normandie, les ch’vâs tiraient dû par le saint aveu les os lourds… mais d’la t’y pâs qu’en arrivant près du ruissé français (vô savez bi c’te petit ruissé qui sèpare not’ commeûne des bertons) les ch’vas bordirent neut, les gâs fouettirent, « fouette, qui n’fouette » que qu’uns sacrirent, mais pas moyen d’avanceu. L’allèrent cri d’aôtres ch’vâs, même tré boeus, la chart’ qui portait l’saint n’bougeu pas. « Faôt creire Mr St Pieurre n’aime pas les bertons, y veut resteu aveuc les gâs des Loges. Mâ n’peut pas si n’oveu être dameu, le laissi coucheu d’hors, portons le au bourg et d’la comment St Pieurre fut charrieu dans not’ euglise. Les gâs l’montirent sûs la stalle près de celle d’not viceuré. I resti là longtemps, bi longtemps… Un cureu l’trouvant trop né, trop vilain, vouleu l’descendre et l’cacheu. Mais les gâs d’la Sauvagère veillaient… Do un dimanche y vinrent dans l’choeu et l’cureu leu d’mandit : Queuq’vôs voulaient ? St Pieurre. St Pieurre. Y falleu l’remonteu et l’piqui sus bout sur sa stalle. Y était aco n’y a 50 ans. À c’theure nô la monteu dans la tou, après n’yaveu coupeu les deux pattes qui o sa enterreues di l’cimetieure…. Un biau St Pieurre tou neu a prens sa piauche. Li l’paore St Pieurre y regard’ les cioches. Pu y va, pu y neurchi. Seu l’bedeau l’rgarde queuque couché, mais rin n’dit qu’un joû qui s’ra facheu y pouchent les gâs d’la Sauvagère a v’ni l’cri et à l’redescendre d’la tou pour y remettre à sa piache d’honneur, car les saints n’ô dit t’y pas qu’ça fait des mirêcles et dans pour qui q’n’ô la délaisseu c’teu paôr St Pieurre qui voulit resteu dô les gâs des Loges…

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’original.

Source ou éditions princeps

M. et Mme Martinet, Monographie communale, 2e version, 1913, Arch. dép. Manche, 124 J 124.

Édition critique

Patrice Lajoye, « Quelques légendes inédites en patois de la Manche collectées en 1913 », Revue de la Manche, 62, 249, 2020, p. 32-33.

Études

Patrice Lajoye, « Quelques légendes inédites en patois de la Manche collectées en 1913 », Revue de la Manche, 62, 249, 2020, p. 27-37.

Commentaire historique et contextuel

Ce récit teinté d’humour reprend le motif bien connu de la « statue récalcitrante », lequel est très largement répandu en France et au-delà dans toute l’Europe. Dans les autres versions, nombreuses, de la légende, la statue en question est le plus souvent découverte par hasard, notamment par un animal, et manifeste le souhait de rester à son lieu de découverte soit en revenant à sa place lorsqu’on l’emmène ailleurs, soit en s’alourdissant, comme ici, lorsqu’on essaie de le faire. La légende des Loges innove sur ce thème, en ce fait qu’ici la statue est non pas découverte, mais toute neuve.

Commentaire linguistique