La légende du pré Maudit
Georges Blin
Éléments contextuels
1913
xxe siècle
Coulouvray-Boisbenâtre
Avranchin
Édition du texte
La légende du pré Maudit.
C’était y a ben longtemps. Un’ muletine venait tous l’ans d’Angleterre à Coulouvray. O se retirait dans le fond du Pré Maudit. Un soir le gas Untel entendit du bri. Y s’erlevit, print son fusil et alli vais qui qué n’yavait. I vi Muletine. Alors y l’y foutit deux coups de fusil. Muletine qu’était frappée tombit. Alors le gars vit qu’cétait un’ belle cairiature qu’était belle et jeune. O l’ergardit et o l’y dit : tu m’as tuée et j’navais pus que deux ans à faire. Après ça la muletine périt et on l’a enterrée au fond du pré dans qui qu’au v’nait tous l’sans.
Alors amiî quand la neuit tombe ceux qui traversent le pré Maudit ont grand ‘pour’.
[en note :] Multine : Personnage imaginaire qui, d’après la légende, avait fait un
pacte avec le diable. De temps à autre elle devait se présenter aux hommes sous la
forme d’un animal. On croyait que pour tuer multine, il fallait des balles bénites
et pour lui faire reprendre sa forme humaine, il fallait la piquer à sang.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’original.
Source ou éditions princeps
Georges Blin, Monographie communale, 1913, Arch. dép. Manche, 124 J 174 (= 134 J 34 – fonds Victor Gastebois).
Édition critique
Patrice Lajoye, « Quelques légendes inédites en patois de la Manche collectées en 1913 », Revue de la Manche, 62, 249, 2020, p. 28.
Études
Patrice Lajoye, « Quelques légendes inédites en patois de la Manche collectées en 1913 », Revue de la Manche, 62, 249, 2020, p. 27-37.
Commentaire historique et contextuel
Cette légende est typiquement celle d’un varou (loup-garou) : un être humain condamné à se changer périodiquement en animal (rarement un loup en Normandie, plus souvent un chien, un mouton, un bœuf, etc.). Seule une blessure – on dit souvent « entre les deux yeux » – permet de rendre au varou sa forme humaine. Ce type de légende est très courant en Normandie et au-delà.
Commentaire linguistique
Multine est un mot rare, qui semble restreint à la partie est de l’Avranchin : la Revue de l’Avranchin (IV, 1888, P. 475) le signale à Lingeard et, sous la forme Bulletine, à Cuves, qualifiant cette créature de « gobeline ».