De Paris, le 5 Novembre 1589.
Les lettres que nous avons receües de Madrid du 18 du mois dernier, portent qu’on y avoit appris avec beaucoup de joye que le Maréchal de
Humiéres
avoit décampé la nüit de Lessines, à l’approche de l’Armée de Hollande, et s’estoit retiré sous le canon de Tournay. Il ne faut pas s’estonner si les affaires du
Roy d’Espagne
vont si bien, puisqu’il est si bien informé de ce qui se passe dans ses Estats. Personne n’ignore que le Maréchal de
Humiéres
apres avoir consommé tous les fourrages des environs de Lessines, a marché à Leuse, qui n’est qu’à deux lieües d’Ath : où il a demeuré dans les terres d’Espagne jusqu’à ce que la saison devenant fascheuse, il a receu ordre du
Roy
de marcher à Kiévrain, qui est encore terre d’Espagne : où depuis cinq ou six jours, il a commencé à séparer son armée. Il est vray que pendant le sejour qu’il a fait à Lessines, le Prince de Vaudemont est venu se mettre en embuscade dans vn bois, à vne lieüe et demie du camp : que le Gouverneur des Pays Bas est venu sur vn raisseau pour le recevoir s’il estoit poussé : et que
le Prince de Waldeck
a fait tenir l’Armée Hollandoise sous les armes, jusqu’à ce que le Prince de Vaudemont soit rentré dans son camp. Apres quoy les ennemis ont publié qu’ils estoient venus offrir le combat au Maréchal de
Humiéres
qui n’avoit pas voulu l’accepter : ce qui est si peu véritable, que le Maréchal de
Humiéres
n’eut nouvelle de cette démarche des ennemis que le 13 sur les quatre heures aprés midy, que ses partis luy rapportérent le mouvement qu’avoient fait les ennemis. S’ils avoient eu autant d’envie de combatre qu’ils ont voulu le faire croire, ils auroient profité de la marche que le Maréchal de
Humiéres
a faite de Leuse à Estainbruges, dans laquelle il marcha plus de trois heures en leur prestant le flanc, à moins d’vne heure et demie de distance de leur armée, sans que qui que ce soit en sortist. Il a demeuré trois jours à Estein--bruge : apres quoy voyant que les ennemis ne vouloient que parler de combat sans en donner, il a marché à Quévrain. Cependant, nous apprenons par des lettres de Bruxelles, qu’on y avoit publié que le Maréchal de
Humiéres
craignant qu’on allast l’attaquer à Leuze, s’estoit retiré sous le canon de Condé, quoi qu’il n’ait pas approché de cette place, de plus de deux heures.
Les derniéres lettres qui sont venües de Bruxelles nous apprennent que l’armée de Hollande a marché jusqu’à Vavre, d’où elle va en quartier d’hyver : qu’elle y a commis des desordres infinis, non seulement contre les habitans du plat pays qui ont esté pillez entiérement : mais encore contre les troupes mesmes d’Espagne qu’elles ont démontées et pillées dés qu’elles les ont trouvées vn peu éloignées du camp. C’est ce que l’on doit attendre des armées confédérées.
Si les nouvelles que nous avons receües de la destination de ces troupes sont véritables, Bruges, Gand, Oudenarde, Tenremonde et Ath seront entre les mains des Protestants : la plus grande partie des troupes qui y seront en garnison devant estre de celles de Hanover ou de Hollande, ou des troupes du
Prince d’Orange
. Le Gouverneur des Pays Bas Espagnols ne pouvoit pas moins faire pour des Princes qui ont levé à leurs dépens, des armées pour défendre les Estats du
Roy son maistre
, dans lesquels, quoi qu’on leve plus d’argent qu’il ne faut pour la subsistance d’vne armée considérable, il n’y a pas de troupes pour mettre trois ou quatre places en estat d’vne médiocre défense.
L’Eveillé, vaisseau du Roy, monté de quatre vingts hommes et de vingt-quatre piéces de canon, qui porta en Irlande le sieur Porter, et qui à son retour avoit esté pris par les flotes Angloise et Hollandoise, a esté repris par le sieur Gabaret Lieutenant Général étant monté de trente deux piéces de canon et de cent quatorze hommes qui ont esté faits prisonniers. On a fait encore trois prises Angloises dont l’vne est vne frégate de vingt six pieces de canon.