De Passau, le 18 Aoust 1683.
Les Turcs continüent de battre la ville de Vienne avec leur grosse Artillerie et plusieurs mortiers. Mais comme leurs batteries n’ont pas eu jusqu’à présent tout le succez qu’ils en avoient espéré, ils firent le 8 de ce mois, joüer deux mines entre les portes de Karndten et de Bouriken. L’effet en fut assez grand : et les Ennemis s’estant avancez par les bréches, se logérent sur la Contrescarpe. Mais le
Comte de Staremberg
, qui, selon les avis d’vn Ingénieur qui s’étoit sauvé du Camp des Ennemis, avoit fait préparer des fourneaux, y fit mettre le feu, et fit sauter les Ennemis quicommençoient à s’y retrancher. Quelques-vns ne laissérent pas de défendre vigoureusement le terrain que les autres avoient occupé, aussi bien qu’vne porte de communication avec le fossé. Mais les Assiégez profitant de leur desordre, firent vne sortie sans leur donner temps de se reconnoître : et ils les chassérent de ce poste avec perte de plus de quinze cens de ces Infidéles. Le
Comte de Staremberg
fit aussi-tost travailler à réparer les bréches, par de nouveaux ouvrages. La nuit du 11 au 12e de ce mois, les Infidéles attaquérent vn Ravelin entre le Château et la porte des Escossois avec vne extréme furie. Ils donnérent en mesme-temps, par tous les endroits d’où ils purent approcher : et apres vn tres-rude combat, qui dura depuis deux heures du matin jusqu’à cinq heures du soir, ils se logérent sur la Contrescarpe et se rendirent maîtres d’vn Bastion. Sur le soir, le
Comte de Staremberg
fit joüer vne mine, dont l’effet fut si grand que pres de deux mille Turcs en furent enlevez. En même-temps, les Régimens de Staremberg et de
Mansfeldt
firent vne sortie sur les Ennemis, et regagnérent, apres vn rude combat, le terrain que ces Infidéles avoient occupé. On asseure que dans ces deux occasions les Turcs ont perdu cinq à six mille hommes. Les Assiégez ont aussi eu plus de mille hommes tüez ou blessez en cette action : parmi lesquels il y a eu plusieurs Officiers et personnes de marque. Le Comte de Souches Colonel d’Infanterie, le Baron Walter Lieutenant Colonel du Régiment de Wirtemberg, le Baron Rouzolinski Lieutenant Colonel de Staremberg, le Comte Leslé et le Sieur Kimpler tres-habile Ingénieur, ont esté tüez : et ce dernier est fort regretté, à cause des grands services qu’il avoit rendus depuis le commencement du siége. Le
Comte de Staremberg
a esté blessé au visage, d’vn coup de fléche. Ces nouvelles ont esté apportées à l’
Empereur
par le Comte d’Auersberg, dépêché par le
Prince Charles de Lorraine
. Elles ont esté confirmées par vn Officier du Régiment de Heusler, qui est sorti de Vienne déguisé en Turc, et qui est arrivé aujourd’huy. Il est aussi venu vn Courier de Neustadt, dépêché par le Comte Castelli Commandant de cette place. Il a rapporté que ce Comte avoit défait vn parti des Turcs, et delivré vn grand nombre de Chrétiens qu’ils condüisoient vers Closter-Neustadt : et qu’il avoit aussi fait quelques-vns de ces Infidéles prisonniers, avec le Secrétaire du
Comte Thékéli
. Le Colonel Heusler a aussi chargé vn parti des Turcs qui alloit chercher des vivres et des fourrages jusqu’au Turnerfeld : et il leur a pris quatre cens chevaux et plus de cent chameaux que les Infidéles avoient chargez de feüilles de vigne faute de fourages. Les Troupes Polonoises du Chevalier Lubomirski, commandées par le Général Dunewaldt, ont battu quatre mille hommes des Mécontents qui ravageoient la Moravie, les ayant rencontrez sur les terres du Prince de Liechtenstein : et on en a tüé plus de deux mille avec le Colonel Erfédi qui les commandoit, et enlevé plus de quatre cens chevaux. Le 9 de ce mois, les Troupes Auxiliaires de Baviére, qui sont de dix mille hommes, partirent enfin d’ici pour aller joindre l’armée Impériale : et on croid qu’elles y sont arrivées. Le Général Dagenfeldt qui les commande, a reçeu ordre d’obéïr au
Prince Charles de Lorraine
. Les Régimens de Leslé, de Neubourg et de Taff ont aussi joint l’Armée : et on dit qu’elle est présentement de pres de quarante mille hommes. On asseure que le
Grand
Visir
, irrité de ces mauvais succez et appréhendant l’approche du secours, faisoit tout disposer pour vn assaut général qu’il vouloit faire donner le 22 de ce mois : et que cependant, il faisoit faire vn feu continüel de son gros canon. Le
Prince Charles de Lorraine
craignant aussi que la ville ne puisse résister à de si longues et de si violentes attaques, estoit résolu, sans attendre l’Armée Polonoise, de tenter le secours avec les Troupes qu’il a : mais la Cour n’a pas approuvé ce dessein, parce que s’il perdoit vne bataille toute la Hongrie, l’Austriche et la Moravie demeureroient à la discrétion des Ennemis. L’
Empereur
a eu avis par vn Courier, que l’Armée de Pologne estoit partie le 9 de ce mois : et que le
Roy
estoit parti le 13 de Cracovie : Que huit mille hommes de l’avantgarde estoient arrivez à Brin : et qu’ils estoient suivis du reste de l’armée, qui marche par trois endroits de la Silésie et de la Moravie.
Sa Majesté Impériale
a fait aussitost partir le Comte de Schaftgotsch et d’autres Commissaires pour aller sur les frontiéres recevoir
Sa Majesté Polonoise
, et faire fournir des vivres et des munitions à ses troupes. Elles estoient il y a quelques jours, entre Ratibor et Troppau : et elles doivent arriver à Krembs le 27 de ce mois. L’
Empereur
se prépare à partir le 23, pour aller à Lintz et de là à Krembs, recevoir le
Roy de Pologne
, et conférer avec Sa Majesté et avec les Electeurs de
Saxe
et de
Baviére
, sur la jonction des troupes auxiliaires, sur les moyens de les faire subsister et sur la maniére dont on attaquera les Turcs. Le Comte de
Waldeck
arriva ici il y a quelques jours, pour presser la marche de ces troupes auxiliaires du costé de Krembs, à mesure qu’elles arrivent. Hier, on embarqua de l’Infanterie de Saltzbourg sur le Danube pour la condüire vers cette place là. Huit mille hommes des troupes de Franconie doivent demain ou le jour suivant, prendre la mesme route. Le 10 de ce mois, le Prince d’Anhalt eut vne longue conférence avec le Grand Maistre de la Cour, sur le secours que l’
Electeur de Brandebourg
veut envoyer à l’
Empereur
. Le 13, le Comte de Castel Premier Ministre de l’
Electeur Palatin
arriva ici : et il eut le lendemain, audiance de Sa Majesté Impériale. Le 14, le Comte Albert
Caprara
Envoyé Extraordinaire de l’Empereur à la Porte, arriva en cette ville. Les Turcs l’ont tenu quinze jours, à Bude : et il en partit avec quinze cens hommes qui escortoient vn convoy de munitions de guerre et de bouche pour l’armée Othomane. On le condüisit par le chemin de Raab, d’Altembourg, de Bruck et de Simering : d’où il passa le long du camp des Turcs, composé de cent dix mille Ianissaires et Spahis, de quarante mille Tartares et d’autres troupes que les Pays du
Grand Seigneur
sont obligez de fournir dans les grandes guerres. Le
Grand
Visir
qui est logé dans la maison des Favorites luy fit aussi voir ses attaques : et il luy dit qu’il pouvoit en faire son rapport à la Cour.
Il luy donna ensüite vne escorte de six cens hommes commandez par vn Bacha, qui l’amenérent jusqu’à Tuln au delà du Danube : où les Impériaux allérent le recevoir.