De Venise, le 16 Octobre 1683.
On a reçeu de nouvelles lettres de Constantinople, qui confirment les avis qui estoient venus de la mort de la
Sultane mére
. Vn vaisseau est arrivé de la mesme ville, chargé des marchandises qu’on a pû sauver de l’embrasement des magasins où on avoit mis celles des Marchands de diverses Nations, dont les Turcs avoient arresté les navires pour aller charger des troupes et des munitions, et les condüire à Thessalonique. On a sçeu par la mesme voye, que le
Grand Seigneur
avoit envoyé des commissions en plusieurs Isles de l’Archipel, pour faire passer de là, des troupes et des munitions à son armée. On écrit de la Bossine et d’Albanie, qu’il y est arrivé de semblables ordres : mais que les habitans témoignoient n’estre pas disposez à y obéïr. Le 10 de ce mois, on célébra ici dans l’Eglise de Saint Iérémie, vne Messe solennelle avec quatre chœurs de Musique, on fit vne procession, et on chanta le Te Deum en action de graces de la levée du siége de Vienne. L’Eglise estoit magnifiquement ornée : et on y avoit exposé le portrait du
Pape
et ceux de l’
Empereur
et du
Roy de Pologne
. Le Marquis de la Torre Ambassadeur de Sa
Majesté Impériale
partit d’ici la semaine derniére, pour se rendre aupres de l’
Impératrice Eléonor
, süivant l’ordre qu’il en avoit reçeu de l’
Empereur
. Le Sénat est occupé au
réglement des monoyes
, pour faire cesser le desordre causé par l’exposition des espéces étrangéres. Des barques chargées de trois mille barils
de poudres, que le
Grand Duc de Toscane
envoye à l’
Empereur
, arrivérent ici par le Pô, ces jours passez. On avoit fait préparer trois Marsilianes pour transporter les poudres à Trieste : mais à peine eurent elles pris cette route, qu’elles furent séparées les vnes des autres, par vne
violente tempeste
. Le 12, il en arriva vne à Chiésa, ayant tous ses mats rompus : et on n’a eu aucune nouvelle des autres.