La Gazette de Renaudot

De Lintz, le 21 Octobre 1683.

On a reçeu des lettres du Camp de nostre Armée, en date du 14 de ce mois. Elles contiennent le détail de ce qui s’est passé dans la derniére action entre les Chrestiens et les Turcs, et à la prise de Barkan. L’Avant-garde de l’Armée de Pologne tomba le 8 de ce mois, dans vne embuscade de cinq mille de ces Infidéles : et le Roy de Pologne et le Prince Aléxandre son fils aîné, qui estoient à la teste, coururent quelque risque. Les Turcs encouragez par l’avantage qu’ils avoient eu, assemblérent huit mille hommes de leurs meilleures Troupes, à dessein d’attaquer l’Armée Polonoise pendant qu’elle estoit éloignée de l’Armée Impériale : croyant qu’elle n’en pourroit pas estre sitost secouruë. Mais on s’avança vers eux en bon ordre. L’Infanterie et la Cavalerie Impériale étoient en Corps sur les deux aîles. Les Polonois y estoient aussi avec les Dragons de l’Empereur. Le Prince Loüis de Bade commandoit l’aile droite : le Général Major Dunewaldt commandoit l’aile gauche : et le Comte de Staremberg commandoit l’Infanterie. Le Roy de Pologne estoit à l’aile droite de son Armée, et le Grand Général de Pologne estoit à l’aile gauche de la Cavalerie. On trouva les Turcs postez dans la plaine, derriére vne descente pres de Barkan. Sans attendre la décharge des Chrestiens ils attaquérent les Polonois. La premiére ligne de l’aile gauche de l’Armée Impériale chargea les Infidéles avec tant de vigueur qu’elle les mit en desordre et les poursuivit jusqu’à Barkan. Vne partie se retira vers Pest : et
plusieurs se jettérent dans Barkan pour passer le pont : mais à peine estoient ils arrivez au milieu qu’il se rompit, et la pluspart furent noyez. On passa vne partie du reste au fil de l’épée. Plusieurs abandonnérent leurs chevaux pour se sauver dans des marais : mais ils y furent poursuivis, et il ne resta qu’environ deux ou trois mille hommes des huit mille avec lesquels ils avoient attaqué l’Armée Polonoise. Le nouveau Bacha de Bude et celuy d’Alep se sont trouvez entre ceux qui ont esté tüez : et les Bachas de Silistrie et de la Bossine sont demeurez prisonniers, avec vn grand nombre d’Officiers et plus de douze cens Soldats. On a sçeu du Bacha de Silistrie, qu’ils avoient attaqué l’Armée des Chrestiens suivant vn ordre expres qu’ils avoient reçeu deux jours auparavant, du Grand Visir , de combattre quand mesme leurs Troupes se trouveroient beaucoup plus foibles. Il confirma aussi que celles qui avoient attaqué les Polonois, estoient l’élite des Troupes du Grand Visir . Les Chrestiens firent vn butin considérable dans cette occasion : et ils emmenérent quantité de fort beaux chevaux, dont la pluspart ont esté distribüez à la Cavalerie. Les autres choses furent partagées entre l’Infanterie. Apres la défaite des Turcs, la Garnison de Barkan arbora l’étendart blanc, et se rendit par composition. Mais on ne laissa pas de faire cinq cens Janissaires prisonniers : et les Polonois passérent les autres au fil de l’épée, pour vanger la mort de ceux de leur nation qui avoient esté tüez dans l’embuscade, et dont les testes estoient exposées sur les remparts. On y trouva seize piéces de canon, avec quantité de munitions. Ensuite de la prise de Barkan, qui a esté entiérement brûlé avec le pont que les Infidéles avoient sur le Danube, les Chrestiens firent travailler à vn pont de bateaux sur la mesme riviére, à vne heure au dessus de Gran, sur lequel ils passérent le 14. On asseure que le Grand Visir s’estoit avancé de Bude vers Gran, et qu’il s’en estoit retourné, ayant appris la défaite de ses Troupes : mais qu’il avoit encore fait entrer vn secours considérable dans la place. Il y a toûjours vne disette extréme de fourrages dans nostre Camp : et on est obligé d’en aller chercher à quatre lieuës de là. Ainsi, on doute que les Armées puissent encore camper longtemps. Le Grand Visir étant entré dans Bude apres la levée du Siége de Vienne, y tint Conseil de guerre, pour délibérer s’il devoit remettre les Troupes en campagne, pour faire teste aux Chrestiens. Mais la plus grande partie de ceux qui assistoient à ce Conseil jugérent qu’il estoit plus à propos de jetter ces Troupes dans des places fortes : et de travailler pendant l’hyver aux préparatifs nécessaires, pour estre en état d’attaquer vigoureusement la Hongrie au Printemps. L’ Empereur a fait chanter ici le Te Deum, en action de graces de la prise de Barkan. On n’a pas jugé à propos de s’attacher au siége de Neuhausel. Sa Majesté Impériale est toûjours indisposée. Elle a résolu de passer l’hyver en cette ville : et le Conseil Aulique demeurera à Vels, où il recommancera les séances au mois prochain. Il n’y a encore rien de réglé pour la distribution des quartiers d’hyver de nos Troupes, ny de celles de Pologne et des Cercles de l’Empire. On dit cependant, que la Cavalerie de Baviére et celle de Franconie vont prendre des quartiers dans leurs Cercles : et que l’ Empereur a promis d’en donner à l’Infanterie dans la Bohéme apres que la campagne sera finie.