De Vienne, le 10 Ianvier 1683.
Le Lieutenant Colonel Saponara, qui estoit depuis long temps aupres du Comte
Tékéli
, revint hier en cette ville. Il a rapporté que ce
Comte
a esté malade : mais qu’il l’avoit laissé entiérement guéri à Moncatz. Il a aussi rapporté qu’il estoit entré quelques Janissaires en garnison dans Cassovie, avant que le Comte
Tékéli
en sortit : qu’il y avoit peu d’apparence de pouvoir conclure avec luy aucun accommodement, parce qu’il est trop engagé avec les Turcs : et qu’il avoit esté mandé à Bude, pour y conférer avec le Bacha. Le Comte Albert
Caprara
Envoyé Extraordinaire de l’
Empereur
à la Porte, a écrit à Sa
Majesté Impériale
, que les Turcs continüoient à se préparer pour faire l’ouverture de la campagne en Hongrie, avec vne tres-puissante Armée. On craint qu’ils ne fassent vne invasion dans les villes des Montagnes : et il a esté résolu d’envoyer de nouvelles Troupes à Trentschin, sous la condüite du Colonel Diépenthal, afin que les Impériaux y soient plus en état de s’opposer à leurs entreprises. On doit aussi faire marcher cinq cens chevaux et pareil nombre de Dragons vers le Waag, pour renforcer les garnisons de nos places : à qui les Turcs donnent de continüelles alarmes par leurs courses. Le
Comte de Staremberg
nostre Gouverneur, fait avec empressement, condüire des vivres et des munitions de guerre dans les magasins sur les frontiéres de Hongrie. Le Magistrat a permis aux Bourgeois qui n’ont pas des lieux propres à mettre les provisions qu’ils sont obligez de faire pour vn an, de les porter dans les magasins publics. On a résolu enfin, de démolir vne grande partie de nos fauxbourgs, et de faire constrüire vne grande redoute, afin qu’en cas de besoin, vn Corps d’Armée puisse se mettre à couvert sous le canon de la ville : et les Troupes logées dans la ville, dans les fauxbourgs et dans les villages voisins, seront employées à ces travaux. On fait souvent faire l’exercice à la Bourgeoisie, afin qu’on soit ici, en état de résister aux Turcs et aux Mécontents, en cas qu’ils viennent nous assiéger. Le 8 de ce mois, l’
Empereur
nomma le Comte de Lodron, le Comte Bargotzi, le Comte de Kéri, et le Baron Riccardi Ragusien, pour Colonels de quatre nouveaux Régimens de Croates que Sa
Majesté Impériale
a résolu de mettre sur pied : mais on ne sçait pas encore quand ils recevront leurs Commissions et de l’argent. On a donné au Colonel du Pigny la moitié du Régiment de Lorraine, à condition d’en faire vn Régiment complet à ses dépens pour le service de l’
Empereur
. Le Grand Bailly de Breslaw a envoyé ici, quatre cens mille florins des
contributions
qu’il a tirées de la Silésie avec beaucoup de peine : et on les a mis dans la caisse militaire. On délibére toûjours sur les
moyens de trouver les fonds
dont l’
Empereur
a besoin pour des recrües et des nouvelles levées, pour le payement et pour la subsistance des Troupes qui sont sur pied, pour les fortifications et pour les autres dépenses extraordinaires. Les Estats de la Basse Austriche doivent estre bien-tost assemblez : et on leur demandera vne somme considérable. Les Marchands de cette ville ont donné douze mille écus pour avoir la permission de vendre quelques marchandises étrangéres. On écrit de Stétin, que le
Roy de Süéde
envoyera environ mille ou douze cens hommes au secours de la Hongrie : et on croid qu’ils seront tirez des Troupes Allemandes qui sont en Poméranie et dans le Duché de Brémen. Le Comte de Walstein se prépare à partir le 14 ou le 15 de ce mois, pour aller en Pologne : et il a fait prendre les devants à vne partie de son train. Le 6 de ce mois, les Seigneurs et les Dames de la Cour, magnifiquement vêtus, allérent complimenter l’
Impératrice
, parce que c’estoit le jour de sa naissance : et il y eut le soir, des divertissemens au Palais. Il n’y a encore rien d’assûré touchant le voyage de l’
Empereur
à Ratisbone ou à Prague.