De Vienne, le 25 Ianvier 1683.
Les préparatifs de guerre des Turcs pour la Campagne prochaine, sont de jour en jour plus considérables. Ils ont résolu de faire remonter quarante vaisseaux sur le Danube, de Belgrade vers Strigonie. Il est encore arrivé depuis quinze jours, cinq mille Tartares à Bude : et ils ont eu ordre de marcher vers Neuhausel, où il en est desja entré quatre cents. Douze mille hommes d’Infanterie sont arrivez aussi depuis peu, pres cette derniére place : aux environs de laquelle ils sont logez. Le Bacha de la mesme ville a envoyé ordre aux Bachas et aux Commandants des places frontiéres de tenir leurs Troupes prestes à marcher au premier ordre, et les Turcs on fait ferrer leurs chevaux à glace : ce qui donne toûjours sujet d’appréhender qu’ils n’ayent dessein de faire, à la faveur des glaces, quelque course dans les païs de l’obéïssance de l’
Empereur
. L’Ayde Major de la garnison de Zathmar, dépesché par le Comte de Serin qui
en est Gouverneur, est venu ici, solliciter vn renfort de Troupes avec les munitions nécessaires pour soustenir vn siége : et on y envoye vn Régiment, avec vn grand convoy de munitions de guerre et de bouche, afin qu’on puisse conserver cette importante place, qui est frontiére de Transsylvanie. Mais on asseure que le Comte
Thékéli
ne veut pas accorder le passage à ce secours, et mesme qu’il veut rompre la tréve qu’il a concluë avec l’
Empereur
, sur ce que le Colonel Diepenthal a osté quelques Eglises aux Protestants, et pour quelque mesintelligence survenuë entre ses Officiers et les nostres, dans les villes des Montagnes. L’
Empereur
a envoyé vers
luy
le sieur Hoffman Auditeur du Conseil de guerre, pour tâcher de l’appaiser, et pour l’engager à observer la suspension d’armes. Il est aussi chargé d’apprendre à quelle fin le
Comte Thékéli
a convoqué à Cassovie vne Diéte des Estats de la Haute Hongrie, et de quelle maniére il a dessein d’agir la Campagne prochaine avec Sa
Majesté Impériale
. Ce
Comte
a fait depuis quelques jours, l’ouverture de cette Diéte : à laquelle assista vn Bacha de la part du
Grand Seigneur.
Quelques Comtez qui sont demeurées dans l’obéïssance de l’
Empereur
, y ont envoyé des Députez, pour éviter l’effet des menaces que le
Comte Thékéli
leur avoit fait faire. On continüe de travailler avec beaucoup d’empressement aux fortifications au delà du Danube, et à celles de nos fauxbourgs. On fait travailler avec la mesme application à agrandir le petit bras du Danube, qui passe le long des murailles de cette ville, afin d’asseurer davantage le pont de bois qui traverse cette riviére. On a fait venir six mille hommes des places voisines, pour fortifier l’isle la plus proche de cette ville, avec des palissades et des remparts de terre, afin que l’armée puisse y trouver vne retraite assurée, en cas qu’il luy arrive quelque disgrace : et qu’elle puisse aussi à la faveur de ce poste, servir à la défense de cette ville, si elle estoit assiégée. Les ordres ont aussi esté donnez pour faire préparer l’artillerie. L’
Empereur
a résolu de faire lever encore vn Régiment de Dragons qui sera commandé par le Lieutenant Colonel Herbeville Lorrain. On doit donner la moitié du Régiment de Mercy au Général Major de ce nom, et l’autre au Colonel du Pigni : et ils seront obligez de faire des recruës pour en composer deux Régiments. Le Conseil de guerre se tient souvent dans la maison du Comte
Caprara
: et on envoye informer le Prince
Charles de Lorraine
de ce qui s’y passe. L’
Empereur
luy dépescha encore hier, vn Courier à Inspruck, pour le presser de revenir ici, afin qu’il donne ses avis touchant les résolutions qu’il est nécessaire de prendre bien-tost, pour estre en état de s’opposer aux entreprises des Turcs. Le Comte
Esterhasi
Palatin de Hongrie et plusieurs des Seigneurs de ce Royaume, sont encore en cette ville : et ils attendent la résolution de ceux de la Basse Hongrie touchant l’assistance qu’on en espére pour soûtenir la guerre. Mais ces Seigneurs s’excusent sur les miséres du païs, de pouvoir contribüer aucune chose : et en mesme temps, ils se plaignent des desordres que commettent les Troupes qui sont en quartier dans la Basse Hongrie. Le 11 de ce mois, l’
Empereur
fit luy mesme, aux Estats d’Austriche, la proposition annüelle : et il leur représenta le péril pressant où se trouve la Hongrie, et le besoin qu’il a qu’ils fassent des efforts extraordinaires pour l’aider à soûtenir les dépenses de la guerre. Le Baron de Waldersdorff, qui estoit allé vers les Electeurs et les Princes du Rhin, en qualité d’Envoyé de l’
Empereur
, est attendu demain en cette Cour. La pluspart de ces Princes se sont excusez de se trouver à Ratisbone ou à Prague : où Sa
Majesté Impériale
les avoit fait inviter de se rendre pour y délibérer sur les conjonctures présentes. On assure que le
Grand Visir
est arrivé à Belgrade, et qu’il y attend le
Grand Seigneur
, pour lequel il fait préparer vn logement.