De Vienne, le 24 Septembre 1683.
On a eu avis que les Polonois ont encore pris sur les Turcs douze piéces de gros canon avec quantité d’équipages, et l’argent dont les Troupes devoient estre payées. Le
Roy de Pologne
a envoyé à l’
Empereur
deux chevaux de l’écurie du
Grand Vizir
, dont les harnois sont couverts de plaques d’or, et enrichis de pierreries. On a trouvé dans le camp des Turcs plus de quinze mille tentes, vne fort grande quantité de bœufs et de bufles, plus de six mille chameaux, quantité de poudres, et de boulets, et dix mille mesures de farine. On a sçeu par des lettres interceptées, que le
Grand Visir
en mesme temps qu’il se fût retiré de devant cette place, dépescha vn Courier au
Grand Seigneur
à Belgrade, pour luy donner avis de la levée du Siége. Il luy manda qu’il avoit disposé toutes choses pour soûtenir le premier effort des Chrestiens, et les engager à vne bataille dont il avoit sujet d’espérer vn heureux succez pour les armes de Sa Hautesse, si le Bacha de Bude n’eût pas pris d’abord la fuite avec son corps d’armée, et avec les Walaches, les Moldaves, et les Hongrois. Le
Grand Visir
ajoûtoit qu’il avoit fait son possible pour retenir les Troupes dans le devoir, et pour les obliger à combattre vigoureusement contre les Chrestiens : mais qu’il avoit enfin, esté contraint de se retirer, apres avoir esté abandonné par les principaux Officiers, et par les meilleures Troupes de l’Armée. Il a fait étrangler le Bacha de Bude et deux autres Bachas, et il a fait couper la teste à quelques Officiers qui n’avoient pas fait leur devoir. On asseure que la plus grande partie de l’Armée Othomane, apres avoir marché avec vne extréme diligence, s’est jettée dans Neuhausel, Gran et Bude, pendant qu’vne partie s’est retranchée à Altembourg. Le
Grand Visir
passa en se retirant aux environs de Raab : et on dit que les Troupes de la garnison luy tüérent environ six cens hommes. En arrivant à Gran, il fut joint par vn Corps de quinze mille Turcs qui marchoient vers Belgrade. Les grosses piéces de canon prises sur les Turcs sont encore hors de cette ville, dans leurs travaux, à la réserve d’vne partie qu’on a fait condüire icy : entre lesquelles il y en a aux Armes de l’
Empereur Ferdinand I
. et de
Rodolphe II
. Une grande partie des personnes qui étoient sorties de cette ville au commencement du siége, y sont revenuës. On travaille à rétablir les maisons qui ont esté abatuës pendant le siége, dont le nombre est considérable.Le Bourg ou Palais Impérial, l’Eglise des Escossois, et plusieurs maisons voisines avoient esté brûlées avant l’arrivée des Turcs.
L’air est infecté par vne püanteur insupportable, causée par vne quantité prodigieuse de chevaux morts qui sont aux environs de cette place : ce qui fait appréhender la peste
. On commence seulement depuis quelques jours, à faire nettoyer cette ville, et à en faire tirer les cadavres des hommes et des chevaux. On employe à ces pénibles travaux les prisonniers Turcs, qui sont en assez grand nombre : et on s’en sert aussi à rüiner les ouvrages des Infidéles, et à réparer nos fortifications. On ramene ici tous les jours, beaucoup de jeunes enfans que les Turcs avoient enlevez. L’
Empereur
a déclaré le
Comte de Staremberg
Maréchal de Camp général, et Conseiller de son Conseil Privé. Sa
Majesté Impériale
luy a aussi donné vne somme de cent mille florins : et a promis de demander pour luy l’Ordre de la Toison d’or à la Cour d’Espagne. Le Comte Capliers a esté pareillement nommé Maréchal de Camp général, et Conseiller du Conseil Privé. L’
Empereur
a donné au
Prince Aléxandre
fils aîné du
Roy de Pologne
vne épée enrichie de pierreries. Sa
Majesté Impériale
, partit d’ici le 20 de ce mois, pour retourner à Lintz. Le sieur Kaunits son Résident à la Porte, qui fut heureusement reconnu dans le quartier du
Grand Visir
, est en cette ville. Les Officiers de tous les Conseils et des Chancelleries partiront dans peu de jours, pour Prague. Le
Comte de Staremberg
, le Prince de Wirtemberg et le Colonel Schaffemberg se disposent à partir pour aller à l’Armée commander les Corps qu’on leur donnera. Leurs Régimens et les autres Troupes de nostre garnison demeureront ici, jusqu’à nouvel ordre. Hier, il passa pres de cette ville, trois Compagnies des Troupes du Cercle de Süabe : et le reste doit suivre dans quelques jours.