La Gazette de Renaudot

De Vienne , le 31 Decembre 1684.

Les Turcs vouloient constrüire un pont pres de Gran , pour venir attaquer les quartiers des Impériaux dans la Basse Hongrie : mais les troupes qui s’estoient assemblées sur l’avis qu’elles avoient eu de leur dessein , les ont obligez à quitter cette entreprise. Le Commandant de Bude en a fait sortir les femmes , les enfans & tout ce qu’il y avoit de gens
incapables de porter les armes : & il les a envoyez à Belgrade , à cause que la disette des vivres commençoit d’estre fort grande dans la place. On asseure qu’elle n’est pas moindre dans toutes les autres places de la Hongrie occupées par les Turcs : & qu’ils sont obligez d’y faire venir de fort loin des convois de vivres pour la subsistance de leurs garnisons. Ils continüent néantmoins à faire des préparatifs extraordinaires : & ils commencent à établir des magasins de toutes sortes de munitions sur les frontiéres de Croatie, en résolution d’entrer dans cette Province , dans le Carinthie & dans la Stirie , tandis que le Comte Thékéli agira en Hongrie , avec les troupes des Mécontents & avec les secours que la Porte luy envoyera. Ils ont continüé depuis quelque temps , de faire des courses jusques aux portes de Vicegradt : & ils tiennent présentement cette place investie. Le nombre de leurs troupes augmente aussi aux environs de Barkam. Cependant , l’Empereur n’a encore donné aucuns ordres pour y envoyer les secours nécessaires : de maniére qu’il semble qu’on est résolu d’abandonner ces deux places. On a seulement envoyé ordre aux Officiers Généraux & aux Colonels des régimens logez en l’Isle de Schut , de s’y rendre incessamment pour observer les mouvements des Turcs. Le 29 de ce mois, un Courrier Extraordinaire apporta la confirmation & les particularitez d’une action qui s’estoit passée entre les troupes commandées par le Général Schultz & celles des Mécontents & des Turcs. Le Bacha d’Agria avec six mille hommes tirez des places frontiéres , & le Comte Thékéli avec environ quatre mille hommes de ses troupes , avoient formé un corps d’armée à dessein de secourir Neuhausel , ou de surprendre quelqu’une de nos places , ou d’attaquer les Troupes Impériales dans leurs quartiers. Le Général Schultz , sur l’avis qu’il en reçeut , assembla en diligence environ quatre mille hommes , tant Dragons que Cavaliers Allemans, & quelques Compagnies de Hussarts : & s’estant mis le 15 de ce mois , à la teste de ces troupes , il marcha à la rencontre des ennemis. Il les mit d’abord en un tel désordre , qu’il se retirérent presque sans combattre : abandonnant la plus grande partie de leurs bagages , parmi lesquels on trouva une cassette & quelques papiers du Comte Tékéli , qui ont esté apportez à l’Empereur par le mesme Courier. On ajoûte que les Infidéles & les Mécontents ont eu environ deux cents hommes tüez , & cent faits prisonniers en cette occasion. C’est ainsi qu’on publie le détail de cette rencontre : mais il y a des lettres de plusieurs endroits qui font connoître que l’avantage des Impériaux n’a pas esté si considérable. On apprend par les mesmes lettres , que les Turcs persistent dans la résolution de jetter un secours considérable dans Neuhausel : & qu’ils ont préparé à ce dessein, un convoy de deux cent chariots chargez de munitions arrivez de Novigradt , & qui doivent estre escortez par des détachements des garnisons de toutes les places frontiéres. Le Colonel Heusler qui a le commandement du blocus de Neuhausel , a dépêché un Courier pour en informer l’Empereur , & pour demander un renfort de troupes avec lequel il puisse s’opposer à l’exécution de ce dessein. Le brüit court qu’un Armenien est arrivé à Comorre , avec des lettres du Commandant de Bude aux Officiers du Conseil de guerre de l’ Empereur : & qu’on luy a envoyé un passeport pour venir ici. Sa Majesté Impériale donna ces jours passez , vingt mille florins au Comte Rabata en considération de ses services , & trente mille au Comte de Siczy, pour le dédommager de la perte qu’il a faite de ses biens à la campagne derniére : Elle a aussi donné seize mille florins au Colonel Heusler : & ces trois sommes doivent estre payées sur les revenus ou sur la vente des terres qui ont esté confisquées , & qui sont sitüées sur le Waag. Le Général Schultz a dépêché un Courier pour donner avis qu’il avoit le 1r de ce mois , surpris quelque Cavalerie du Comte Thékéli dans ses quartiers : & qu’il l’en avoit chassée & poursuivie jusques dans les bois , & qu’il en avoit tüé plusieurs Cavaliers. Mais on a sçeu d’ailleurs que le Comte Thékéli a fait faire le degât dans le pays de Zipse : & qu’il menaçoit de nouveau de faire une irruption dans les villes des montagnes , & d’y attaquer les troupes auxiliaires avec les siennes , & trois mille hommes de celles des Turcs. Les Communautez de la Haute & de la Basse Hongrie continüent de se plaindre des quartiers d’hyver & des contributions qui obligent tous les jours les habitants à quitter leurs maisons & à se retirer ailleurs avec ce qu’ils peuvent emporter. La misére augmente aussi parmi les troupes à cause de la disette & de la cherté des vivres qui est si grande , qu’une mesure de bled qui ne valloit que quarante fois , vaut presentement dix livres. Les soldats qui sont dans l’Isle de Schut desertent journellement par troupes , parce qu’ils y périssent de faim & de maladie : & de cette façon tous les regiments sont tellement diminüez qu’ils ne peuvent estre rétablis sans de grosses recrües. Le Conseil de guerre a demandé une liste exacte des Officiers & des soldats qui sont morts en Hongrie , pour faire faire ces recrües selon qu’elles seront necessaires : & l’Empereur a envoyé des Commissaires sur les lieux pour faire une revüe & pour dresser un estat véritable des troupes qui sont sur pied , & capables de servir la compagne prochaine. D’autres Commissaires des guerres sont partis pour aller régler les quartiers des troupes auxiliaires. On espére qu’il sera aisé d’avoir assez de troupes pour rendre tous les corps complets en traitant avec plusieurs Princes & Estats de l’Empire pour une partie de celles qu’ils ont sur pied : & que la plupart ont resolu de congedier depuis la conclusion de la treve. Sa Majesté Impériale a nommé des Commissaires pour convenir avec le Comte de Hohenloë Député du Cercle de Franconie , du nombre des troupes auxiliaires du même Cercle , & des moyens de les faire subsister durant leur marche , & de les entretenir pendant la campagne. Les Directeurs du même Cercle avoient offert à l’ Empereur de fournir des vivres à la garnison de Philisbourg , si Sa Majesté Impériale vouloit faire fournir du pain de munition à leurs troupes en quelque lieu qu’elles fussent mais on ne sçait pas si ces offres ont esté acceptées. Le Conseil Impérial est continüellement appliqué aux préparatifs de la campagne prochaine. On délibére sur les moyens d’avoir des troupes suffisantes pour s’opposer par tout aux entreprises des ennemis , & mesme pour les attaquer avec succez. On pense à pourvoir les magasins de munitions de guerre & de bouche : & on délibére particuliérement sur les expédients les plus faciles d’amasser les fonds dont on a besoin pour soûtenir de si grandes dépenses. L’ordre a esté envoyé aux Présidents de toutes les Chambres des Finances des Provinces Héréditaires de se rendre ici en diligence , pour déclarer quelles sommes ils pourront fournir. Cependant , on se propose de mettre sur pied deux puissantes armées dont l’une sera commandée par l’Electeur de Baviére & l’autre par le Prince Charles de Lorraine . Le 27 de ce mois , on veid passer devant cette ville , sur le Danube , plusieurs barques chargées de bombes, de grenades , de poudres & d’autres munitions de guerre & de bouche qu’on transportoit en Hongrie , pour les mettre dans les magasins. On amene ici , par la mesme riviére, des grains des pays étrangers aussi pour les magasins de Hongrie : où on en condüit pareillement de Baviere pour les troupes Electorales. L’Ingénieur venu de Bruxelles a fait l’épreuve de plusieurs machines de guerre en présence du Prince Charles de Lorraine & de plusieurs officiers généraux : & il en a promis de grands effets en l’attaque des places les plus fortes. L’Empereur a ordonné qu’il fût logé à l’Arsenal : & qu’on luy fournist toutes les choses qu’il demandera pour faire travailler. Le Prince Charles de Lorraine se prépare à partir pour aller à Lintz , recevoir la Reyne Doüairiére de Pologne sa femme , & l’amener en cette ville , où Elle passera l’hyver. L’Evesque de Breslau partit d’ici il y a quelques jours , pour aller prendre possession de son Evesché & du Gouvernement général du Duché de Silésie. On prépare ici, unlogement pour le Prince fils aîné du Roy de Pologne , qui est attendu avec le Comte de Wallestein .