De Vienne , le 7 Janvier 1685.
On a reçeu de nouvelles particularitez de la rencontre du Général Schultz avec les troupes des Mécontents.
Le Comte Thékéli
, apres avoir conféré à Rimasomba avec le Bacha d’Agria , qui s’y estoit rendu à la teste de six cent chevaux , avoit assemblé sa cavalerie pour l’exécution d’un dessein qu’on n’a pû encore découvrir. Mais le Général Schultz , afin de le prévenir , partit de Prézowitz à deux lieuës de Zében , pour aller à sa rencontre : & ayant marché toute la nüit , il se surprit si à propos le 16 du mois dernier , à la pointe d 1 jour , pres d’Yglo où il estoit campé , qu’il chargea ses troupes avant qu’elles eussent le temps de se reconnoître . Ainsi , il les mit d’abord en desordre : & il les obligea à se retirer vers Agria , apres en avoir tüé deux ou trois cents hommes. Ces nouveaux avis ont fait connoître que le Bacha d’Agria n’avoit pas alors , encore joint le Comte
Tékéli
avec six mille Turcs , comme le brüit en avoit couru. Mais on a depuis sçeu qu’ils devoient se joindre pour tâcher de faire entrer de grands convois dans Neuhausel , suivant un ordre expres que le Seraskier Bacha leur a envoyé , ainsi qu’au Commandant de Bude & à ceux des autres villes des Turcs , de hazarder tout pour la conservation de cette place là. On a eu avis que le
Grand Seigneur
fait venir d’Asie tout ce qu’on y peut assembler de milices pour en augmenter son armée. Les derniéres lettres de la Haute Hongrie marquent que le Général Schultz a enlevé un convoy de vingt chariots chargez de pain, &
attelez chacun de six bœufs , que les ennemis vouloient faire entrer dans Neuhausel. Mais il a appris qu’ils en préparoient un autre de plus de deux cents chariots chargez de toutes sortes de munitions de guerre & de bouche. On mande de la Croatie , qu’ils ont bloqué la Forteresse de Wirowitza qui a esté prise par les Impériaux à la derniére Campagne. Les mesmes lettres portent que les Infidéles continüoient de travailler à un pont sur la riviére de Gran avec toute la diligence possible : ne pouvant estre rebutez par les grandes difficultez qu’ils y rencontroient . Ils font connoître par là qu’ils ont toûjours dessein de venir attaquer les quartiers des Impériaux & des Bavarois : ce qui oblige à des soins extraordinaires pour la garde des passages. Nos Hussarts font des courses sur le chemin d’Esseck, pour empêcher les Turcs de condüire des vivres à Bude : & ils chargérent ces jours passez , un parti de Tartares qui estoient venus faire le degast pres de Lewents & de Neutra. Mais ils furent ensuite attaquez par un parti des Turcs , qui en tüérent un grand nombre , & mirent le reste en füite.
La désolation est toûjours extréme parmi les peuples de la Basse Hongrie
, à cause des quartiers d’hyver : & la plupart des habitans du Rebbau & de plusieurs autres quartiers , ont abandonné leurs maisons, & se sont retirez à Bude & en d’autres places des Turcs. Le Commandant de Bude reçoit fort bien ceux qui s’y retirent. Il les employe aux fortifications : & il leur fait donner huit sols , deux livres de pain , & une pinte de vin par jour. Néantmoins , on publie ici que les Turcs y manquent de vivres & de fourrages : qu’il y a une grande mortalité parmi les soldats : que le Seraskier Bacha , afin de conserver le reste des Janissaires , y a envoyé des Spahis pour monter la garde : & qu’il leur a assigné des quartiers à Alberoyale. Le Comte Rabata est parti ce matin , pour aller en Hongrie visiter les quartiers des troupes Impériales , & de celles de Baviére & de Süabe , afin d’y donner les ordres nécessaires , & de faire ce qui sera possible pour le soulagement des Habitans qui en sont les plus incommodez. On dit qu’il y prendra aussi le commandement des troupes pour s’opposer aux entreprises des Turcs & des Mécontents.L’Arménien envoyé par le Commandant de Bude arriva hier ici de Comorre , avec des lettres qui sont adressées au
Prince Herman de Bade
Président du Conseil de guerre. Il n’a pas encore eu audiance : & on le fait observer avec beaucoup de soin , de crainte qu’il ne soit venu à dessein de reconnoître les préparatifs qui se font ici. Cette Cour a appris avec beaucoup de joye que les négociations du Comte de Thaun auprés des Princes de l’Empire , ont eu le succez qu’on en pouvoit souhaiter dans les conjonctures presentes. Il a mandé que
l’Electeur de Cologne
l’a asseuré qu’il donnera à
l’Empereur
un secours de six mille hommes qu’il entretiendra à ses dépens , & qu’outre cela , on luy a accordé la permission de faire dans les Estats de
Son Altesse Electorale
, une levée de troupes que
Sa Majesté Impériale
payera & pourra joindre à son armée en Hongrie. Le Comte de Thaun a aussi obtenu un secours de six cents hommes de l’
Electeur de Mayence
, & un pareil nombre de la ville de Cologne. Le Landgrave de Hesse-Cassel a envoyé icy , le sieur Diéden pour offrir pareillement quelques régiments : & des Commissaires ont esté nommez pour entendre ses propositions. On espére quelques troupes des
Electeurs de Saxe
& de
Brandebourg
. Le Comte de Hohenloë Envoyé du Cercle de Franconie entra en conférence il y a quelques jours , avec le Comte de Koningséeck Vice-Chancelier pour régler le secours que ce Cercle veut fournir , & pour délibérer sur les moyens de détourner le passage des troupes auxiliaires de l’
Electeur de Cologne
de dessus les terres du même Cercle & de la Wéteravie, ou d’obtenir du moins qu’il n’y passe qu’un régiment à la fois : que ces troupes payent par tout , ce qu’elles dépenseront : & que suivant les ordres de
l’Empereur
& de l’
Electeur de Cologne
, elles gardent une bonne discipline. On est toûjours appliqué aux préparatifs de la campagne : & l’Ingénieur venu de Bruxelles , fait travailler à des mortiers d’une invention nouvelle dont il assure que les effets seront d’un tres grand succez. La semaine derniere , il passa icy deux compagnies de recrüe venant de l’Empire & allant en Hongrie : l’une de trois centshommes pour le régiment de Mansfeldt & l’autre de deux cents pour le régiment de Neubourg.
Le Prince Charles de Lorraine
partit en poste hier , pour aller recevoir à Wetz , la
Reyne Doüairiére de Pologne
sa femme. Il a esté obligé de faire ce voyage par terre : ne l’ayant pù faire par le Danube, à cause des glaces. Le 31 du mois dernier, elles renversérent deux arches du grand pont de cette ville : & parce que la communication est ainsi ostée avec les pays qui ont esté le moins exposez aux ravages des Turcs & des Tartares , d’où on saisoit venir des vivres , ils sont ici extrémement enchéris.
La disette
& la cherté de toutes choses augmente dans la Hongrie & dans l’Austriche : & on assure que
l’Empereur
pour soulager le peuple , & pour faire subsister plus aisément ceux qui sont obligez de süivre sa Cour , passera dans quelque temps , à Prague.