De Vienne , le 2 Septembre 1685.
Un Courier arriva ici de l'armée , le 29 du mois dernier. Il rapporta que le Seraskier Bacha qui estoit venu jusqu'à Weitzen , & qui témoignoit y vouloir attendre les Impériaux pour donner un second combat , avoit repassé le pont de Pest , y ayant laissé environ trois mille hommes pour le garder : & qu'il s'estoit retiré avec le reste de ses troupes , sous le canon de Bude.
Le Prince Charles de Lorraine
sur cette nouvelle , fit marcher l'armée du costé de Pest pour en brusler le pont , & pour en faire constrüire un de bateaux au dessus de Bude , afin d'y passer le Danube , & de chercher le Seraskier en résolution de le combattre & de dissiper son armée. Le 31 , un autre Courier rapporta que le Bacha de Bude avoit fait tirer plusieurs volées de canon sur les troupes du Seraskier lors qu'il voulut se retirer sous le canon de cette place : & qu'il luy avoit mandé que
le Grand Seigneur
l'avoit envoyé pour combattre l'armée Chrestienne & non pas pour prendre la fuite. Le Prince Charles jugea que le Seraskier ne manqueroit pas de tascher d'en venir aux mains , ou du moins de fatiguer l'armée Impériale en l'obligeant à de continüels mouvemens , par des marches & contremarches feintes. Ainsi , il résolut de nouveau de faire rüiner le pont des ennemis sur le Danube à Pest , de faire fortifier cette place : & d'y mettre un corps de troupes pour empescher les Turcs de la garnison de Bude de rétablir le pont , & pour conserver la communication libre du Danube. L'armée devoit ensuite , passer la riviére sur le pont de bateaux qui seroit constrüit pres de Bude , afin de chercher les Ennemis pour les combattre & pour les dissiper. Un troisiéme Courier vient d'arriver avec des lettres du Prince Charles de Lorraine à
l'Empereur
: mais on ne sçait pas encore ce qu'elles contiennent. Le brüit court , cependant , que le Seraskier ayant fait sauter le reste des fortifications de Novigrad , de Vicegrad ,de Weitzen & de Pest , a repassé le Danube : qu'il a laissé ses meilleures troupes à Bude : & qu'il s'est
retiré avec le reste à Agria. On dit aussi qu'un Chaoux est arrivé au Camp Impérial : & qu'il est chargé de quelques propositions. On a trouvé dans Neuhausel quatre vingt trois piéces de canon , trois mortiers , deux chambres pleines de bombes , quatre cents milliers de poudres , trois quintaux de méches , vingt deux plaques de plomb , chacune pesant quatre cents livres , & une grande quantité d’autres munitions. Tous les soldats y ont fait un butin considerable , & mesme de beaucoup d'argent : de sorte qu'ils joüent tres gros jeu dans l'armée. La place est tellement rüinée qu'il n'y a pas dix maisons habitables. Le Comte d'Aspremont qui y commande jusqu'à l'arrivée du Comte de Scherffemberg qui en est nommé Gouverneur , a esté obligé de faire dresser ses tentes sur une hauteur pour s'y loger : & la garnison de trois mille cinq cents Allemans & de six cents Hongrois est dans des barraques. Il coûtera beaucoup pour remettre cette place en bon estat : & on asseure qu'il faut plus de deux cents mille livres pour rétablir seulement les deux bastions. L'Archevesque de Gran a offert d'avancer pour cette dépense , quatre vingt mille florins : & le Cardinal Bonvisi Nonce du Pape , a offert d'en donner mille. On y a envoyé d'icy un grand nombre de Charpentiers , de Maçons & d'autres ouvriers pour travailler incessamment avec la garnison , à reparer les bréches & à combler les travaux. On parle de faire un détachement de quatre mille chevaux & de six mille hommes de pied sous les ordres du Comte
Caprara
, pour aller joindre le Corps d’armée du Général Schultz en la Haute Hongrie , & pour tascher de faire rentrer dans l'obéïssance de
l'Empereur
, pendant le reste de la campagne , les villes où il y a encore garnison des Mécontents. La nouvelle de la reduction d'Eperies ne s'est pas trouvée véritable. Les Assiégez avoient exposé un drapeau blanc & demandé à capituler : mais ils pretendoient des conditions que le Général Schultz ne voulut pas leur accorder. Il les a envoyées à
Sa Majesté Impériale
pour apprendre ses intentions sur ce sujet. Un Courier qu'on luy avoit depesché est revenu : & il a rapporté que les Assiégez continüoient de se défendre avec un courage extraordinaire , quoy que les assiégeans fussentsous les murailles , qu'il y. eût une bréche assez grande , & que tout fût prest pour donner l'assaut général. Cependant , on a desja perdu dix sept cents hommes à ce siége.
Le Comte Thékéli
a esté à Cassovie exhorter la garnison & les habitants à une vigoureuse résistance s'ils estoient attaquez : & il est retourné à Mongatz , où il se retire ordinairement. Le Comte Sirmaï l'un des principaux officiers de ses troupes , s'estant rendu à l'armée de l'Empereur , a este amené ici avec une bonne escorte : & on espére en tirer de grandes lumiéres. Il a asseuré que le Comte Thékéli estoit dans la disposition de se soûmettre si on vouloit luy accorder les conditions honorables qu'il a , cy-devant , plusieurs fois demandées. Le Comte Leslé est revenu à Turanowitz de l'expédition du Pont d'Essek : & il fait toûjours solliciter icy un renfort de troupes. Le Comte Drascowitz Général des Croates , a envoyé à
l'Empereur
trois Drapeaux qu'ils ont pris sur les Turcs pres d'Essek. Quatre vingts des prisonniers faits dans la ville ont esté donnez aux officiers des troupes nationales de Croatie , pour en disposer comme ils voudront : & le reste sera envoyé aux galéres d’Espagne. Le Gouverneur de Carlstat a demandé au Comte Leslé quinze cents fantassins : & il l'a fait asseurer qu'avec ce secours , un détachement de sa garnison & les troupes nationales de Croatie , il se rendra maistre de la ville de Canischa : ou du moins qu’il la serrera de si pres, qu'il n'y pourra plus rien entrer. Le brüit court que l'Empereur veut accorder une amnistie générale à tous les Hongrois qui ont pris les armes contre Sa Majesté Impériale , à la réserve du Comte Thékéli & de quelques au- autres personnes. Il est arrivé ici trois mille hommes de pied de l'Empire où ils ont esté levez : & on les a fait passer dans l'isle de Leopolstadt : d'où, apres quelques jours de repos , ils seront condüits en Hongrie. Le Comte Martinitz est revenu de Londres : où il estoit allé complimenter
le Roy de la Grande Bretagne
sur son avénement à la couronne.